Nationalisme et indépendantisme - démêlons les confusions.

Les deux chapitres ci-dessous sont extraits des Secrets de Bart De Wever (pp 123 à 149), parus aux Éditions de l’Arbre, Bruxelles, 2011. Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

 

Le Nationaliste

Pourquoi le nationalisme est toujours dangereux.

Dans ses « Notes sur le Nationalisme »1 publiées quelques mois après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Georges Orwell en donne une définition intéressante : « Par nationalisme’, j’entends en premier lieu l’habitude de considérer que les êtres humains peuvent être classés, comme des insectes, et que des blocs de millions ou de dizaines de millions de gens peuvent en toute confiance être qualifiés de bons’ ou ‘mauvais’. Mais en second lieu – et ceci est bien plus important –, j’entends la pratique qui consiste à s’identifier à une seule nation ou autre entité, la plaçant au-dessus des concepts du bien et du mal, et ne [lui] reconnaissant d’autre devoir que de privilégier ses intérêts. » Pour ceux qui connaissent un tant soit peu la situation belge, la ressemblance entre cette description et certains aspects de la « société nationaliste » flamande actuelle est frappante. Plusieurs événements récents peuvent être interprétés comme mettant l’intérêt de la Flandre au-dessus des traités et décisions d’institutions internationales voire de l’État de droit, comme le refus de se conformer à des avis du Conseil de l’Europe. De plus en plus d’intellectuels se plaignent d’une classification des artistes, penseurs, écrivains, journalistes en « bons » et « mauvais » Flamands. Quant à « l’ennemi extérieur », c’est le Wallon et le Bruxellois francophone, régulièrement stigmatisés pour la mauvaise qualité de leur gestion, de leur économie ou même de leur moralité.

 

À l’opposé, la Flandre est présentée par les politiciens de la N-VA, du Vlaams Belang et du CD&V de M. Leterme comme mieux gérée, et bien des étrangers ont tellement entendu que c’était la région la plus performante d’Europe qu’ils ont fini par le croire. Elle est pourtant loin derrière la région de Bruxelles, on le verra ! Mais la Flandre « idéale » a acquis une telle importance dans l’imaginaire politique flamand, que le premier ministre belge actuel, Yves Leterme (en affaires courantes) n’a pu s’empêcher, alors qu’il était premier ministre de la Présidence tournante de l’Union Européenne, de déclarer, le 7 septembre 2010, dans l’émission « Hard Talk » de la BBC, que la 6e réforme de l’Etat belge (voulue aujourd’hui par « les partis flamands ») était nécessaire pour « donner plus de pouvoir à la Flandre pour investir plus dans toutes sortes de politiques destinées à répondre au problème du vieillissement de sa population » ! Il est face à un journaliste anglais. Il représente l’Europe d’abord, la Belgique ensuite. Mais il ne parle ni des problèmes bruxellois, ni de ceux des Wallons. Seule la Flandre semble le concerner vraiment. Comment un « président tournant » de l’Europe peut-il rester focalisé à ce point sur sa seule région d’origine ? À la N-VA, on est encore plus direct !

 

Le fait que Didier Reynders prétende que le nationalisme est une idéologie « naturelle » révèle une confusion courante : le nationalisme est souvent assimilé à d’autres concepts pourtant très différents, comme le jacobinisme français d’autrefois, le patriotisme, et même le chauvinisme. Le nationalisme flamand actuel n’est rien de tout cela. Il se base sur l’identité « linguistique », sur la « nation flamande », censée fonder l’État-Nation flamand, en opposition à « la Belgique francophone ». Son projet ne se fonde pas sur une société mixte où chacun peut acquérir la citoyenneté. Il se base au contraire sur une identité prétendument linguistique. Prétendument, car les Hollandais, qui parlent le néerlandais tout comme les Flamands, ne sont pas vus à la N-VA comme appartenant à « la Nation flamande ». Alors, la question se pose :

 

« Qu’est-ce qu’un Flamand ? »

 

Déjà, les Juifs d’Anvers n’en sont pas, si l’on en croit le président du parlement flamand, Jan Peumans (N-VA). À l’occasion de la fête nationale (sic) flamande du 11 juillet 2010, il a tenu un discours intitulé « Identité et autonomie ». Il y évoquait la langue comme le facteur clé du sentiment d’appartenance au « peuple flamand ». Afin de préciser sa pensée, il donna d’autres exemples : « En Grèce, [...] l’histoire commune est la source dans laquelle on puise l’identité. Et contrairement à ce que l’on pense souvent, chez les Juifs, il ne s’agit pas de la religion, mais bien de la descendance (ou de l’hérédité). Il vous suffit de faire un tour à Anvers. Vous remarquerez rapidement que les soi-disant Juifs laïcs sont tout aussi juifs que les Hassidim pratiquants, chez qui vous pouvez même déceler leur identité, leur ‘être un peuple’ à leurs vêtements. »

 

Dans le même discours, le même Jan Peumans – qui est un des membres fondateurs et l’une des têtes pensantes de la N-VA – brouille les pistes en confondant patriotisme, chauvinisme sportif et nationalisme : « Aux Pays-Bas, il y a ce sentiment orangiste’, qui se révélera aujourd’hui certainement dans toute sa force, pendant la finale du Championnat du Monde de ce soir. [...] Les Hollandais sont certainement nationalistes, même s’ils le nient. » Bien sûr qu’ils le nient : ils sont patriotes, supporters, mais pas nationalistes, hormis peut-être les électeurs du parti islamophobe de Geert Wilders, le PVV. Intarissable, Jan Peumans continue sur sa lancée : « Il en va de même pour les Français qui n’ont absolument pas honte de leur État-Nation. »

 

Les Français nationalistes ? Identitaires ? La France, un État-Nation ? Une nation, c’est un « peuple », un ensemble national prétendument cohérent. Si la France était nationaliste, la République devrait exclure les 3 millions d’âmes dont l’identité linguistique est le néerlandais, l’alsacien, le breton, le catalan, le basque. Si l’on suivait la logique nationaliste, il faudrait rendre Colmar à l’Allemagne et Dunkerque à la Flandre ; annexer la Wallonie et la Suisse romande.

 

De quel État-Nation parle-t-il donc, ce Peumans quand il évoque la France ? De celui qui sort les soirs de victoire des bleus, assurément ! Ce n’est en tout cas pas du nationalisme défini par Orwell qu’il est question. Il est vrai que le débat sur « l’identité nationale » française a pu faire croire que l’UMP flirtait avec le nationalisme, mais le débat a fait long feu. La République n’est pas une structure où un nationalisme identitaire peut s’inviter naturellement. Le seul effet de ce mauvais débat aura été, et c’est grave en effet, de donner du grain à moudre au Front national, le seul parti un tant soit peu important qui soit véritablement nationaliste en France.

 

Le discours de Jan Peumans le montre : la N-VA veut une nation qui réunirait le « peuple flamand ». Et c’est là que le bât blesse. Réserver une nation, un territoire, à un « peuple » implique évidemment que tous les individus qui n’en feraient pas partie, parce que non identifiés comme tels, en seront exclus. Un nationalisme « doux » exigera au minimum qu’ils s’y intègrent en apprenant la langue, en adoptant les coutumes, voire – comme le suggère un décret flamand – en participant activement à la vie associative par l’adhésion à un club colombophile néerlandophone, ou à un club de billard flamand. Willy De Waele, le bourgmestre (libéral)1 d’une petite commune flamande voisine de Bruxelles a donné dans Le Soir2 une assez bonne idée du niveau d’adaptation qui pourrait être exigé du futur citoyen « de langue autre »3 en Flandre : « L’effort pour apprendre le néerlandais ne suffit plus. Il faut penser dans la langue... Penser en néerlandais veut dire comprendre ce qui se passe en Flandre. » On en arrivera bientôt à imposer de boire de la Triple Westmalle4 plutôt que de l’Orval5.

 

Celui qui ne pourra pas s’adapter – et ils seront innombrables, le néerlandais étant une langue qui requiert plusieurs années de pratique avant de permettre une « intégration parfaite » – devra soit quitter le futur territoire de la « République de Flandre » ou n’y jouir que d’un « statut d’étranger », même s’il y est né (il y a plus de 350 000 Francophones « de » Flandre.6 Cela forme un ensemble cohérent avec des décrets comme le Wooncode, ou Habiter dans sa propre région. Le 12 mars 2011, Geert Bourgeois, rappelait dans La libre Belgique : « [Les Francophones] ne sont pas une minorité historique [en Flandre]. »

 

On a vu aussi que la N-VA n’est pas la seule à refuser d’adhérer au Traité de Lisbonne en matière de citoyenneté, de minorité, et de libre établissement des personnes. Le propre parti d’où est issu le président européen Herman Van Rompuy est exactement sur la même longueur d’onde. Ce dernier ne s’est d’ailleurs jamais prononcé sur l’attitude de la Flandre à cet égard, encore moins sur celle de son parti. Mais l’organisation de Bart De Wever est, de par sa puissance et son radicalisme, le fer de lance de cette attitude antidémocrate.

 

Ce nationalisme est aussi peu compatible avec l’eurodémocratie1 que ne le sont le communisme ou le fascisme. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on trouve, parmi les grands nationalistes identitaires, des personnages comme Milosevic2 ou Franjo Tudjman, dont les exactions ont gravement retardé l’entrée de la Serbie et de la Croatie dans l’Union. Le poids lourd en la matière n’a même pas besoin d’être cité pour nous hanter de sa sinistre mémoire. On me dira toutefois que tous les nationalismes identitaires qui accèdent au pouvoir ne finissent pas dans un bain de sang. Par acquit de conscience, ça fait quelques mois que je cherche un exemple de nationalisme qui aurait mené pacifiquement à la naissance d’une Nation identitaire qui parvienne à ne pas exclure « l’Autre » et – oh zut alors – je ne trouve pas.


On pourrait penser à la Slovaquie, mais celle-ci a, en 2009, voté une Loi qui interdit aux fonctionnaires et aux administrations de parler hongrois, la langue d’environ 10 % de la population.1 Cette Loi rappelle le règlement que la Flandre a adopté voici déjà plusieurs années, sous le nom de « Circulaire Peeters ». Comme le gouvernement flamand a tenté de le faire – mais la Constitution belge l’en empêche, les Slovaques ont aussi interdit l’utilisation de toute langue minoritaire et de l’anglais dans l’espace public. Le président du Parlement européen Jerzy Buzek a alors estimé que « cette loi [slovaque] nuit à l’esprit de l’intégration européenne et aux idéaux de démocratie’ ». L’affaire a énervé le voisin hongrois, et les relations entre les deux pays se sont même envenimées au point qu’en août, la Slovaquie a interdit au président de Hongrie de faire une tournée (privée) dans les villages hongrois slovaques. Suite à quoi quelques cocktails Molotov ont atterri sur la façade de l’ambassade slovaque de la capitale hongroise...2 Ceci montre que le nationalisme, même dans l’Union européenne, mène toujours à l’exclusion, voire à l’affrontement. Il n’est donc absolument pas « naturel » d’être nationaliste dans l’Europe d’aujourd’hui. Le seul fait de le dire montre à quel point le nationalisme flamand a déjà pourri l’espace médiatique et politique belge. Comment un tel glissement des valeurs est-il possible ?

 

 

L’Identitaire

Identité et nationalisme, le bal des confusions.

Comme les mouvements de l’ordre nouveau, le nationalisme (qui n’est pas toujours d’extrême droite) ne peut se révéler totalement dans une démocratie occidentale, parce qu’il menace directement les principes démocrates. S’il désire accéder au pouvoir par des moyens légitimes, il doit louvoyer entre les messages destinés à sa base de convaincus et ceux destinés à son électorat « acquis », qui n’est pas pour autant nationaliste lui-même : les électeurs de Le Pen ne sont pas forcément d’extrême droite, ils peuvent parfaitement voter Besancenot aux élections suivantes ! Au même titre qu’un député antisémite ne peut se permettre de dire tout haut « ...les Juifs dehors ! » dans nos démocraties occidentales, un député nationaliste ne peut se permettre d’évoquer la création d’une nation ethniquement pure. Non seulement, il s’exposerait à des poursuites, mais de surcroît, il perdrait la partie de son électorat qui l’aura élu pour des raisons autres, économiques, politiques, ou simplement – comme dans le cas de Bart De Wever – parce qu’elle est persuadée que lui seul est capable d’obtenir « ce que la Flandre veut ».

 

À cause de cette dissimulation nécessaire de leurs buts ultimes, il est très difficile de percevoir clairement – et plus encore de révéler de façon crédible – les intentions exactes des partis d’extrême droite et des nationalistes. Ceux-ci sont d’ailleurs structurés pour répondre à la fois aux attentes de leur « arrière-ban » extrémiste, sans choquer outre mesure leur électorat d’occasion. La N-VA ne fait pas exception à cette règle d’or. Le même jour, l’on peut entendre Bart De Wever prétendre qu’il veut un accord gouvernemental qui préserve l’avenir de la Belgique, et l’un de ses plus proches lieutenants, Jan Jambon, annoncer que la Flandre indépendante est pour demain ! Cette confusion est voulue.

 

Les nationalistes excellent dans l’art de mélanger les concepts afin de rendre le leur acceptable en apparence. Dans son discours du 11 juillet 2010 (la fête « nationale » flamande), Jan Peumans mélange allègrement nationalisme, patriotisme, chauvinisme sportif, héritage historique, indépendantisme e tutti quanti, ce qui ne révèle pas une méconnaissance du sujet, mais bien la nécessité de noyer le poisson. Ou plutôt, le poison. Afin de faire passer son nationalisme pour une doctrine inoffensive, voire bénéfique, il la met en parallèle avec des régimes légitimes, français, hollandais, grec, etc.1. Le seul fait qu’un parti produise une confusion des concepts impose donc le soupçon.

 

Démêlons les confusions.

Le nationalisme2 se bâtit sur le mythe du « peuple identitaire ». Je dis bien un mythe, parce que personne ne correspond à une seule identité. Un Vietnamien adopté par une famille flamande de Flandre française de confession protestante est asiatique, flamand, français, protestant, et bien d’autres choses encore. Même l’image d’Épinal d’un Brestois

 

bretonnant catholique ne résiste pas à la réalité : il est à la fois breton, brestois, français, catholique. Quatre identités, et ce n’est qu’un début, parce qu’il peut aussi être marin, UMP, chasseur, joueur d’échecs. Le cantonner à son identité bretonne, c’est nier toutes les autres, et rejeter sa personnalité, qui est le résultat du mélange de ses identités. Autant lui imposer de porter un chapeau rond ! Pour ma part, j’ai des racines allemandes, italiennes, flamandes, hollandaises, belges, françaises, je suis né à Bruxelles, et je suis francophone par hasard. Tout cela me parle. Je ne puis me limiter à une seule de ces « identités », je suis – comme tout un chacun – riche de leur variété. Mon identité n’est donc et ne peut être aucune de celle-là. Tout État qui me demanderait de choisir nie ma liberté individuelle. La Belgique, en m’imposant de choisir entre Francophone, Flamand et Germanophone, nie déjà ma liberté individuelle quant à mon identité.


Le fascisme et le nationalisme

Les mouvements identitaires jouent sur l’effet de groupe, le besoin simiesque de rassemblement, de reconnaissance et d’identification mutuelle dans un « ensemble populaire ». Le fascisme offre à l’individu le confort de ne pas devoir penser ; le nationalisme, celui de ne pas devoir se demander qui l’on est. Il est somme toute une version étatique de ces bandes qui recrutent, dans les zones paupérisées, ceux qui se sentent exclus « du système ». Le principe est le même : sublimer une soi-disant « identité commune », ce qui requiert évidemment que l’on méprise toutes les autres. À ce titre, le nationalisme est une doctrine parfaitement archaïque dans un monde postnationaliste, dans une démocratie européenne dont la richesse, mais aussi la complexité, découle de plus de deux millénaires d’évolution politique.

 

Les nationalistes entretiennent donc volontiers une première confusion, entre « l’identité nationale », celle de la Nation, et « identité individuelle », celle du citoyen. Il faut reconnaître qu’il n’est pas nécessaire d’être un nationaliste déclaré pour tomber dans ce piège facile : le débat français sur l’identité nationale, une fois encore, l’a bien montré. Cette confusion est logique d’un point de vue nationaliste : le but du cette idéologie est justement de faire correspondre « l’identité individuelle » (de chaque citoyen) à « l’identité nationale » (de l’État). Adolf Hitler1, qui cumulait nationalisme et extrême droite (ce qui n’est, je le rappelle, pas le cas de tous les nationalistes), avait pour ambition de créer une « vraie Allemagne » peuplée de « vrais Allemands ». Pour y parvenir, il fallait définir ce qu’était un « vrai Allemand ». Pas un Juif, en tous les cas. On notera que Jan Peumans, président du Parlement flamand, et N-VA, semble dire quelque chose de similaire lorsqu’il distingue une « nation flamande » et intègre les Juifs d’Anvers dans une « nation juive », donc pas « flamande ». Pour Hitler, un Allemand n’est pas non plus un Noir, ni un Tzigane. Et parce qu’il est fasciste, donc adversaire du pluralisme, ce ne peut pas être un communiste, ni même un socialiste comme le nom de son parti national-socialiste aurait pu le faire penser. Mais bien un homme volontaire, travailleur, courageux, dynamique, puissant, ardent au combat, invincible, idéalement blond aux yeux bleus. Mais ils étaient rares même dans le NSDAP2, ce qui montre l’absurdité du dogme !

 

Bref, chaque citoyen était l’image individuelle de sa vision de l’Allemagne elle-même, multipliée par les 65 309 1301 habitants que comptait le Reich en 1933. L’on retrouve ce besoin d’identifier l’être à l’État dans des nationalismes non génocidaires de vocation. Le Croate Franjo Tudjman voyait la Croatie comme un pays peuplé de « Croates », c’est-à-dire de gens de langue serbo-croate majoritairement catholiques qui peuplaient l’État fédéré de Croatie dans la fédération yougoslave, mais aussi des Bosniaques aussi bien catholiques (dits « Croates de Bosnie ») que musulmans2. En étaient toutefois absolument exclus les Serbes, pourtant frères de langue (serbo-croate) qui avaient ceci de différent qu’ils étaient orthodoxes et écrivaient en cyrillique plutôt qu’en caractères romains. Détail qui montre l’ineptie de ces classifications : les gouvernements croates ont cherché à démontrer que le « serbe » était une langue distincte, en dépit des évidences. Ils ont donc fait preuve d’originalité en imposant « zdračna luka » (port aérien) à la place du mot plus courant en serbo-croate « aeroport ». De Zagreb à Belgrade, on parle la même langue, mais on s’envole dans deux endroits différents.

 

Dans les États nationalistes, l’identité de l’État et celle du citoyen doivent correspondre au moins à terme. Seule varie la dureté des méthodes d’identification d’un nationalisme à l’autre. Dans une Région flamande nationaliste intégrée dans un État belge eurodémocrate, il n’est évidemment pas question d’éliminer physiquement les citoyens qui ne correspondraient pas à l’identité mythique de la (future) « nation

 

flamande ». Il n’en est pas plus question en Slovaquie. Les mesures y sont donc d’une nature plus « acceptable » que dans la Serbie de Milosevic ou la Croatie de Tudjman : on y tente « pacifiquement » d’éloigner les alteridentitaires en leur rendant la vie sociale plus difficile. C’est le sens des multiples mesures prises par la Région flamande, au gouvernement de laquelle la N-VA présidée par Bart De Wever est associée depuis 2004. Et nous voyons avec quelle opiniâtreté les nationalistes jouent avec les limites de l’acceptable pour parvenir à leurs fins : créer une Flandre réellement unilingue, débarrassée de sa minorité francophone. Il est révélateur que des mesures très semblables soient prises en Flandre et en Slovaquie.

 

Tous les nationalismes, heureusement, ne mènent pas au génocide, mais tous cherchent naturellement l’éloignement, l’exclusion de tout qui ne correspond pas, ou ne veut pas correspondre à la norme, à l’identité citoyenne préétablie. Avec toujours la même obsession : que l’identité de l’État et celle du citoyen soient virtuellement unifiées. Dans l’État flamand de Bart De Wever, un Francophone devra entrer dans le costume d’un « Flamand identifié », ou s’en aller. Un étranger doit parler la langue, être intégré, respecter « nos » coutumes. Et le ministre Geert Bourgeois l’a bien précisé : « Qui s’installe en Flandre doit apprendre le néerlandais [...] la minorité française doit s’adapter à la nouvelle situation ».1 Étant bien entendu que les 5,6 % de Francophones2 présents depuis parfois plusieurs générations3 en Région flamande, où ils constituent localement

 

des majorités dépassant les 90 %, sont présentés eux aussi comme de nouveaux arrivants, au mépris de l’Histoire, du droit international, du Traité de Lisbonne.


L’atteinte constante aux libertés individuelles.

Bart De Wever exprime ce même concept de façon apparemment « tolérante » : « Je ne trouve absolument pas que ce soit une faute d’obliger quelqu’un qui veut faire partie de notre communauté (sic) à apprendre [notre] langue. Ce n’est pas une punition corporelle. Cela ne le limitera pas, mais lui donnera plus de chances. »1 Le fait de présenter une obligation comme une chance doit inquiéter : imposer des « chances » à quelqu’un est déjà une atteinte à sa liberté individuelle – l’individu a le droit de ne pas s’offrir les « chances » préétablies comme les meilleures par ceux qui détiennent ou voudraient détenir le pouvoir. De plus, ceci est peut-être vrai pour les primoarrivants non européens, mais pour les citoyens de l’Union (Belges inclus), cette obligation contreviendrait aux droits de libre circulation et de libre établissement, une fois encore. L’idéal qui se cache derrière cette obsession de l’unilinguisme est bien exclusif. Mais Bart De Wever va plus loin encore, en présentant l’identité comme un ciment social, rejetant l’individualisme, insinuant – et cela me paraît gravissime – que le bonheur est dans la soumission à une identité, le hissant à un niveau « métaphysique » : « En définitive, il existe un lien positif entre l’identité et une société plus forte. Celui qui parle d’identité accepte que nous tendions vers la formation d’une communauté, et pas vers l’individualisme. Cela nous amène à une réflexion métaphysique sur l’intérêt commun, à donner une plus-value à l’idée que nous sommes ici tous ensemble. L’une des maladies de notre époque est que nous remplaçons simplement la métaphysique par la physique. Regardez les suppléments weekend de nos journaux : les plus beaux voyages, la plus belle voiture, les plus belles expériences culinaires, voilà [selon eux] la clé de notre bonheur ! Hélas, cela ne fonctionne pas. Nous possédons cette prospérité, mais vous ne pourrez pas dire que notre société est devenue plus heureuse au cours des quarante dernières années. Au contraire : toute une série de paramètres indiquent que le manque de bonheur et la solitude ne cessent d’augmenter. Je pense que l’identité est avant tout un concept qui peut aider les plus faibles dans notre société, si l’on utilise le concept à bon escient. »1 Enfin, le leader nationaliste n’hésite pas à rejeter le contraire de l’identité, soit la « citoyenneté mondiale » (wereldburgerschap en néerlandais) : « La citoyenneté mondiale est culturellement désactivante et amène une assimilation culturelle à laquelle je m’oppose. Troisièmement, elle est démocratiquement très dangereuse. Elle ramène l’homme à une poulie dans une machine géante qu’il ne peut plus superviser et sur laquelle il ne peut plus exercer d’influence. » L’identité est donc bien pour lui un ciment culturel protectionniste destiné à protéger la culture flamande des influences extérieures. Là encore, la confusion entre identité individuelle (de celui qui se dirait « citoyen du monde » et refuserait la culture communautaire) et identité nationale est totale. Et la confusion est absolue lorsqu’il en arrive à mélanger identité, territoire, et culture : « Lorsqu’on aborde des concepts comme l’identité, il y a une série de facteurs objectifs, comme un territoire (sic), un passé commun (sic), un mythe originel (sic), un nom collectif et un système culturel : nous nous sentons culturellement liés les uns aux autres. »

 

À l’inverse, dans une démocratie occidentale, l’identité du citoyen ne regarde que lui. Il n’a d’autre identité vis-à-vis de l’État que celle qui permet de le reconnaître en tant qu’être unique à des fins pratiques : ses nom, prénom, date de naissance, adresse. C’est une identité purement formelle. Contrairement à celle que lui impose le nationalisme, cette identité l’émancipe, puisqu’il garde toute liberté de s’identifier à ce qu’il veut. Breton, brestois, catholique, français, marin, européen, occidental, citoyen du monde ou toute autre chose. Rien ne l’oblige à « s’adapter » à quoi que ce soit. Un Belge, un Européen a – en principe – le droit de ne pas avoir envie d’apprendre l’une ou l’autre langue, de s’installer dans n’importe quelle région même s’il ne comprend pas un mot de ce que disent ses habitants. Le journaliste français qui s’installe en Égypte a bien sûr intérêt à comprendre l’arabe, mais cela ne lui sera pas imposé par l’Administration égyptienne. Il en va de même de tout citoyen européen partout en Europe, du fait du principe de liberté d’établissement garantie par la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne2. De ce fait, l’identité nationale d’un État unioneuropéen ne peut plus être définie a priori : elle ne peut être qu’un simple constat. Cette identité nationale est la somme de toutes les identités des habitants du pays, de son histoire, de sa géographie, de ses traditions humaines, juridiques et politiques, de sa culture, saupoudrée de mythologie nationale. L’identité de la France ne peut être que celle qui résulte de la somme des individualités des citoyens français. On y ajoutera Hugues Capet et ses descendants, la Révolution, l’Empire, Charles de Gaulle ; le Cap Gris-Nez, le Cotentin, la Corrèze, Paris, les Gorges du Verdon ; les principes de la République, l’héritage du Code Napoléon, le choix des scrutins majoritaires ; Jeanne d’Arc, Clovis, la barbe fleurie de Charlemagne...

 

C’est parce que la France n’est pas un État nationaliste que le débat sur l’identité nationale y fit long feu. Il apparut presque immédiatement impossible de faire correspondre l’identité du citoyen à l’identité de la Nation. Du reste, les deux étaient déjà parfaitement définis : le droit à la citoyenneté est codifié, et le caractère sacré de cette citoyenneté est l’un des fondements de la République. Quant à l’identité de la Nation, s’il s’agissait de définir ce qui distingue la France des autres pays du monde pour comprendre comment l’intégration peut y être optimale, il eût fallu établir une liste de ce qui fait la particularité du pays de Voltaire. Mais est-ce possible ? Du camembert aux Misérables, de la Chanson de Roland à Stupeur et Tremblement en passant par Offenbach, Jaurès, et même Pétain, on eût obtenu une œuvre d’une dimension telle qu’elle eût rempli à elle seule l’ensemble des rayonnages cirés de la Bibliothèque Mazarine.

 

La France pouvait aussi simplement évoquer le vivre-ensemble, principe qui institue un État fondé sur des valeurs, et non sur une soi-disant « identité ». Ce vivre-ensemble est indissociable de la mixité et du brassage culturel. La France est riche des métissages qu’elle s’est offerts, de Catherine de Médicis à Alexandre Dumas, de Chopin à Jamel en passant par Aznavour, Gainsbourg, Brel. C’est Nicolas Sarkozy, un fils de réfugié venu d’un « pays de l’Est » qui préside aujourd’hui la République. Il eut un grand-père juif, un grand-oncle rabbin, nés d’une famille autrefois chassée d’Espagne parce qu’être juif ne correspondait pas à l’identité requise par la très catholique Ibérie. Ses ancêtres ont combattu les Turcs pour défendre l’Empire austro-hongrois. Nicolas Sarkozy est le fruit d’un brassage de cultures.

 

Et à propos de culture (populaire), le réalisateur le plus populaire aujourd’hui en France est le fils d’un Kabyle (musulman) et d’une Flamande française (catholique) s’étant converti au judaïsme pour épouser une Juive. Je parle bien évidemment de Dany Boon, concentré à lui seul de trois cultures religieuses, qui n’en est pas moins devenu le porte-étendard d’une région bien française qui, sans lui, serait encore vue comme le coin perdu, un peu maudit, inintéressant, plus proche du Pôle Nord que de la Place de la Concorde. Dany Boon a d’autres identités en réserve. Un peu parisien, un peu artiste, un peu mari, un peu ceci, un peu cela. Si Sarkozy et Boon partagent peu de choses au quotidien, ils ont en commun d’habiter une République conçue sur des valeurs. Mais que seraient-ils, ces deux Français incontestables, dans la Flandre que décrit le président du Parlement flamand Jan Peumans, ou Willy De Waele?


À l’inverse de la Flandre qui, malgré la résistance (souvent silencieuse) d’une partie importante de sa population, voit ses institutions dériver insensiblement vers le nationalisme, le vivre-ensemble d’inspiration française est encore bien vivace en Francophonie belge, où la Wallonie a pour « empereur » politique un fils d’immigré, Elio Di Rupo, président du Parti socialiste, le premier de la région. Chacun a oublié même son homosexualité et respecte son choix de discrétion quant à ses partenaires, à l’exception notable de... Bart De Wever, qui « révéla » dans une interview l’avoir croisé avec « son [petit] copain ».... Le ministre-président de la Communauté française de Bruxelles s’appelle Christos Doulkeridis. Quant au ministre de la Culture de la Communauté française1, c’est Fadila Laanan, qui succéda à Marie Arena. Étrangement, il n’y a pas de figure de proue en Flandre qui n’ait un nom « autochtone ». Tous les ministres et présidents flamands sont « d’origine » flamande. Cela provient en partie du fait que l’immigration a toujours été plus importante en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre.

Pour en revenir au débat français sur l’identité nationale, si son effet de pétard mouillé peut rassurer sur la santé de la démocratie française, il n’en est pas moins un mauvais exemple – on voit d’ailleurs que le ministre de l’Immigration Claude Guéant n’a rien à envier à son prédécesseur Éric Besson en matière de déclarations équivoques. La démocratie n’est jamais acquise. Mais la France des valeurs résiste plutôt bien à la France de l’identité, et massivement, ce qui n’est plus du tout le cas en Flandre. La création en 2007 d’un ministère « de l’immigration et de l’identité nationale » indigna à juste titre le monde intellectuel, associatif, politique, médiatique, qui réagit immédiatement, soutenu par une bonne partie de la presse. L’association d’immigration, d’intégration et d’identité nationale était bien un premier pas vers une dérive nationaliste et la société citoyenne l’a bien compris, s’est levée sans attendre. Mais l’on doit s’inquiéter du fait qu’il aura quand même fallu trois ans pour que la dénomination du ministère changeât2 et que l’on supprimât l’expression identité nationale dans l’énoncé. Ce n’est peut-être pas un hasard si cela fut fait quelques mois après les élections régionales de mars 2010, où le Front national obtint des scores qu’il n’avait plus obtenus depuis belle lurette. Éric Besson et Nicolas Sarkozy avaient-ils trop dangereusement flirté avec des concepts nationalistes, incitant les électeurs attirés par ces thèmes à considérer les thèses du FN comme admissibles dès lors que l’UMP, indiscutablement libérale, les brandissait comme un thème républicain ? Il faut écouter Jean-Marie Le Pen lorsqu’il dit : « Les Français préfèrent l’original à la copie. » Il connaît bien le sujet !

 

Reste que l’échec, l’abandon rapide du débat sur l’identité nationale sont symptomatiques de la nature de la République. Les principes de liberté individuelle et d’égalité en faisaient un OVNI impossible à décoder par la société civile, politique, judiciaire. Ce qui nous amène à une autre grande confusion qui permet au nationalisme de se faire passer pour une idéologie « normale » : la mise à toutes les sauces du mot nationalisme. La N-VA est experte en la matière. Elle colle simplement l’étiquette « nationaliste » à des États qui ne le sont manifestement pas, et hop, le tour est joué.

 

Le 29 septembre 2010, Bart De Wever est l’invité de l’Université de Gand pour une grande conférence de rentrée académique. Devant plus de mille étudiants, le président de la N-VA s’offre une vibrante défense du nationalisme. Il arrive sur le podium en conquérant ; il est présenté par le politologue Carl Devos comme le deus ex machina de la politique belge : « Quand quelque chose fonctionne en Belgique, c’est probablement parce que Bart De Wever le veut ; quand quelque chose ne fonctionne pas, c’est aussi parce que Bart De Wever le veut. »1 Le sujet du jour est : Qu’est-ce que la politique ? Mais Bart n’en a cure. Il préfère obliquer d’emblée vers une question qui lui semble plus propice : Qu’est-ce que l’identité ? Il a l’habitude de s’emparer de toute tribune pour faire passer son message politique. Tout le monde le lui pardonne. C’est lui. Et puis, il a de l’humour, de l’autodérision même. Ça fait passer beaucoup de choses. Dans son discours, De Wever oppose le nationalisme (sic) allemand, « de la nation à l’État », au nationalisme (sic) français, « de l’État à la nation »1. Il parle bien entendu de la naissance et de la construction de ces deux pays. Mais alors, pourquoi utilise-t-il le mot nationalisme à leur égard ?2 Pour insinuer que sa doctrine n’est en rien différente de celles qui fondent les grandes nations.

 

Le Robert nous enseigne que le nationalisme est (en résumé) : 1. un mouvement politique qui revendique le droit de former une nation ; 2. l’exaltation du sentiment national, accompagné quelquefois de xénophobie ; 3. une doctrine fondée sur ce sentiment, subordonnant toute la politique intérieure au développement de la puissance nationale.

 

Aucune de ces définitions ne convient, ni à l’Allemagne, ni à la France puisque ces deux dernières ne sont évidemment pas des « mouvements politiques ». Quant à « réclamer le droit de former une nation », c’est un peu tard pour elles. Si toutes deux sont assez chauvines (du moins d’un point de vue belge, pays où le patriotisme est devenu une denrée si rare qu’il est qualifié de belgicain), l’exaltation du sentiment identitaire y a mauvaise presse, parce que le IIIe Reich et l’État français ont laissé leur sinistre mémoire planer sur le sujet. Lorsqu’en 2007, Ségolène Royal revendiqua l’amour du drapeau et de la Marseillaise comme des valeurs socialistes (ce qu’ils sont de toute évidence, la Révolution n’était-elle pas un mouvement présocialiste ?), elle dut faire face à une véritable levée de boucliers. La méfiance de la gauche et d’une partie de la droite pour tout excès de patriotisme – le fantôme du Maréchal-nous-voilà rôde toujours – reste grande. Or, qu’il y a-t-il de négatif à prôner que la gauche prenne elle aussi sa part du patriotisme, tant qu’il ne s’agit que de reconnaître des symboles civils qui n’identifient pas le citoyen à un groupe autre que celui des valeurs françaises, Liberté, Égalité, Fraternité ? Ou du drapeau qui unit les Français et les représente à l’étranger sans impliquer autre chose qu’une adhésion à la citoyenneté, celle du vivre-ensemble ? Chez Angela Merkel, si le drapeau allemand – qui n’est pas celui du IIIe Reich qui était noir, blanc, rouge, mais de la Bundesrepublik et donc de la démocratie – a bonne presse, toute manifestation publique de patriotisme (hymne national, salut au drapeau) impose une digne retenue. Foin de débordement, le patriotisme allemand officiel est une forme de recueillement, un acte de résistance officiel face aux dérives du passé, et qui en tire les leçons. Quant à penser que l’Allemagne ou la France subordonneraient « toute la politique intérieure au développement de la puissance nationale » selon la troisième définition du Robert, cela reviendrait ni plus ni moins à confondre Merkel et Sarkozy avec Mussolini.

 

L’utilisation du mot nationalisme pour évoquer l’histoire de ces deux États n’est cependant pas une erreur d’interprétation de Bart De Wever, qui est historien de formation. Il sait probablement très bien ce qu’il fait. Il vise à conférer au vrai sujet de la conférence, le nationalisme flamand, un caractère d’acceptabilité ; inlassablement, il repose la même question : pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un nationalisme démocrate ? Pourquoi le nationalisme a-t-il mauvaise presse ? Il n’hésite pas à évoquer les nettoyages ethniques en ex-Yougoslavie et les excès de l’extrême droite nationaliste flamande pour prétendre que ce n’est pas le nationalisme qui induit l’exclusion, mais bien les extrémismes qui donnent mauvaise réputation au nationalisme. Il dit : « Comment se fait-il que l’identité soit devenue un concept problématique ? Aujourd’hui, lorsqu’on dit dans une assemblée naïve que l’on est ‘Vlaams-nationalist’’ (nationaliste flamand, NDT), les gens vous regardent comme si c’était contagieux. Leur attitude semble insinuer : ‘Est-ce que ça te fait mal ? Es-tu un raciste ?’ » Entre parenthèses, nous avons ici un bel exemple d’utilisation de l’humour par Bart De Wever pour faire passer une notion précise l’air de rien. En plaisantant sur le fait que le nationalisme « ferait mal » à celui qui « en souffre », ce qui est évidemment parfaitement absurde (quoique), il fait sourire l’auditoire pour désamorcer la question qui suit, et à laquelle il amène les participants à répondre non : « Es-tu un raciste ? » Le syllogisme devient alors : le nationalisme ne fait pas mal, donc ce n’est pas du racisme...

 

Toujours dans le but de désamorcer toute critique, les nationalistes flamands confondent – à dessein – le concept de nationalisme avec d’autres concepts plus innocents, comme le patriotisme, l’indépendantisme, l’émancipation culturelle, etc. Même les professeurs d’université mélangent nationalisme et patriotisme. Ainsi, Peter De Graeve. Ce docteur en philosophie de l’université d’Anvers a signé avec Éric Defoort, membre fondateur de la N-VA, le 7e Manifeste du « Groupe Gravensteen » du 11 mars 2011. On y exige de fait la fermeture des écoles francophones de la périphérie bruxelloise, l’obligation du néerlandais sur le lieu de travail, dans l’industrie et les commerces dès que l’on quitte Bruxelles, ainsi que la suppression du droit pour les Francophones de la périphérie de la Capitale d’être jugés en français. Ce même Peter De Graeve disait dans De Standaard du 19 mars 2011 : « Le patriotisme, c’est impartialement la même chose que le nationalisme. Le nom fait simplement moins peur. »

 

Je préfère évidemment la définition de Romain Gary : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres. » Elle fut reprise par Charles de Gaulle : « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » François Mitterrand allait plus loin encore lorsqu’il écrivait : « Le nationalisme, c’est la guerre. » Et parmi les démocrates flamands, Guy Verhofstadt, ex-premier ministre belge et président de groupe au Parlement européen, écrivait dans De Standaard que la logique ultime de la pensée identitaire, c’était Auschwitz. Guy Verhofstadt est pourtant un patriote. Je récapitule donc depuis le début pour Bart, dans le fond de la classe, qui n’a pas écouté, pour changer : le nationalisme consiste à fonder une nation sur base d’un soi-disant peuple, à savoir une identité commune obligatoire, ce qui revient à exclure. Le patriotisme, lui, n’exclut pas, puisqu’il consiste à célébrer l’État dont on est le citoyen. Alors que le nationalisme intervient dès avant la fondation de l’État, le patriotisme célèbre l’avènement de cette nation, et ses valeurs. Bien entendu, dans une société nationaliste, le patriotisme est également nocif, puisqu’il consiste alors à célébrer les valeurs d’identité. Mais dans une société démocrate, comme celle des États-Unis ou de l’Allemagne, et bien sûr de la France, le patriote est simplement celui qui se reconnaît dans les valeurs communes, le vivre-ensemble en France, la Constitution aux États-Unis, le postnationalisme en Allemagne, et qui les célèbre.

 

L’autonomisme ou l’indépendantisme sont deux notions qui n’entraînent pas nécessairement le nationalisme. Elles consistent, comme en Catalogne ou dans le Pays Basque, à réclamer l’indépendance ou l’autonomie (ce qui revient largement au même) pour une région, et n’impliquent pas non plus qu’après cette autonomie, l’État exigera une correspondance à une identité quelconque. Ainsi, particulièrement en Catalogne, il n’est pas question de chasser les 50 % d’hispanophones, ni même de les forcer à apprendre le catalan. Au Pays Basque, toute personne qui apprend le basque est inconditionnellement basque. Mais ça ne signifie en aucun cas que ceux qui ne l’apprennent pas n’ont pas le droit d’y vivre.

 

À ce titre, la présence de la N-VA est une anomalie dans le club des partis indépendantistes européens du groupe parlementaire de l’ALE, car celle-ci ne vise absolument pas l’émancipation du « peuple flamand », qui est déjà émancipé, qui de surcroît est majoritaire, et qui pour couronner le tout, nie sa minorité francophone. Au contraire des minorités que sont les Bretons et des Basques, pour qui la lutte pour les droits linguistiques s’inscrit dans une menace permanente de disparition, et qui reconnaissent leurs dialectes comme des parlers subrégionaux, la N-VA souhaite la disparition de ses minorités et ne protège pas ses dialectes, au contraire. Elle cache habilement cette volonté en déguisant son combat nationaliste en soi-disant réaction légitime face à une menace francophone, et derrière une soi-disant oppression de l’État belge, où dois-je le rappeler, la Flandre choisit son premier ministre depuis plus de 30 ans, avec une liberté telle qu’elle est parvenue à mettre au sommet de l’État un Yves Leterme détesté, à l’époque, par 90 % des Francophones pour avoir plaisanté sur leur intelligence ! En réalité, le combat de la minorité francophone de Flandre est le même que celui des Basques, des Catalans, des Bretons, des Corses, des Ligures, des Polonais d’Allemagne : celui du droit à sa culture, du droit à un enseignement dans sa langue, du droit à une justice dans sa langue, du droit à se grouper politiquement pour défendre ces droits.

 

L’autonomisme (qui se confond souvent avec l’indépendantisme) est une notion parfaitement démocrate, puisqu’il vise à l’émancipation des populations autrement brimées par l’État dont la région fait partie. C’est le cas, par exemple, du Kosovo. Logiquement, après son indépendance, le nouvel État fera bien de prévoir une protection de ses minorités (serbes à présent), particulièrement s’il s’est détaché de son ancien État central pour des raisons d’oppression linguistique, ethnique, religieuse. Histoire de ne pas imiter le nationalisme (flamand) qui refuse à ses minorités, et à Bruxelles, les droits au nom desquels il veut s’ériger en nation. La Belgique est typiquement une construction indépendantiste. Elle s’est détachée des Pays-Bas en 1830, avec l’ensemble de sa population, sans imposer de conditions particulières à une partie de sa population. Parler de « nationalisme belge », comme le fait Bart De Wever est donc abscons.


©Marcel Sel et Les Éditions de l'Arbre, 2011

Écrit par Marcel Sel Lien permanent | Commentaires (11)

Commentaires

merci Monsieur Sel pour votre érudition et le partage.:)

Écrit par : chantal bailly | vendredi, 19 octobre 2012

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Accessible, pour moi qui aime me casser la tête, je suis plutôt d'accord, mais faut avouer que cela reste pour un certains publique...

Écrit par : Crismo | vendredi, 19 octobre 2012

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Mr Sel,

J'ai un peu de mal avec le fait que vous n'acceptiez pas qu'un nationalisme ne puisse pas être assimilateur.

De Wever est un Jacobin flamand, tout simplement. Et un Jacobin est un nationaliste français : un territoire, un peuple, une langue, tout ce qui dépasse étant nié ou combattu.

La NVA reproduit à l'échelle flamande les délires de la IIIème république : les minorités n'existent pas, mais il faut les assimiler. Il n'existe pas de peuple breton, mais il est du devoir de la France de faire accéder ce peuple non-existant à une civilisation supérieure.

Le déni de la différence, le monolithisme identitaire, la volonté d'uniformité, c'est du jacobinisme de base. Clamer qu'il n'existe pas de "nationalisme français", c'est oublier que l'Etat français s'est constitué, de force, autour d'une identité, d'une langue bien précise, qui était minoritaire en 1789. Celle de la cour, celle des Bourgeois "éclairés", celle de l'Etat.

On peut être nationaliste et vouloir englober les "sous-peuples" dans le "Nous" en leur niant le droit à l'existence (France, Turquie kémaliste), on peut être nationaliste en voulant se séparer de ce bloc.

Donc la NVA est un parti nationaliste ET indépendantiste, au sens ou une fois indépendante, la Flandre devra être mono-linguistique (et mono-neuronale)... comme la France quoi.

Écrit par : thomas | samedi, 20 octobre 2012

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@thomas

ce que vous dites n'est pas spécialement faux, mais comparer la flandre à la france est par nature une connerie... il n'y a pas deux grandes langues en RF, (il y a une langue fondatrice et des langues, patois et dialectes régionaux)

comprenez que la n-va aux yeux des FR (tout de même les FR n'est-ce pas une minorité de 40% dans ce pays) est un ennemi évident car sa logique est purement raciste, "raciste" au sens scientifique et méprisable du terme, la n-va est manifestement incapable de comprendre la spécifité de notre pays

dans une "flandre" indépendante cette minorité FR serait au minimum de 15% (et elle ne serait pas moins légitime qu'à 40%)

Écrit par : Uit'tZuiltje | samedi, 20 octobre 2012

@thomas : c'est exactement ce que je dis dans la suite du livre : la N-VA est jacobine. Mais la France d'aujourd'hui n'est plus celle de 1789. Par ailleurs, si elle impose le français dans les actes, elle n'interdit pas les autres langues. Ainsi, en Alsace, dans certaines communes (qui peuvent en décider elles-mêmes), les délibérations du conseil communal sont en alsacien et ça ne pose aucun problème pourvu que ces délibérations soient ensuite traduites pour l'archivage ou l'envoi au ministère. Pour rappel, en Flandre, tout mot d'une langue autre est strictement interdit et entraîne l'annulation de toutes les décisions prises ce jour-là. C'est un peu différent, ne trouvez-vous pas ?

Sur l'identitaire, il y a une différence fondamentale entre les jacobins toutefois et le nationalisme de la N-VA. Les premiers n'attribuaient aucune qualité particulière au fait d'être français de langue natale et n'auraient d'ailleurs pu le faire dans un pays où la langue française, en 1789, était finalement parlée par une grosse minorité tout au plus. La N-VA, elle, se concentre sur l'identité flamande qu'elle tente de définir, ce qui en fait un parti nationaliste. Elle attribue de surcroît un territoire à cette langue, et lie les deux. La mise ensemble de ces deux éléments n'est pas du jacobinisme, qui se fiche éperdument de l'identité du citoyen et déclare simplement que tous doivent avoir les mêmes chances et que pour les avoir, ils doivent avoir accès au français, fût-ce de force (d'où l'interdiction des autres langues à l'école).

Écrit par : Marcel Sel | samedi, 20 octobre 2012

@thomas : c'est exactement ce que je dis dans la suite du livre : la N-VA est jacobine. Mais la France d'aujourd'hui n'est plus celle de 1789. Par ailleurs, si elle impose le français dans les actes, elle n'interdit pas les autres langues. Ainsi, en Alsace, dans certaines communes (qui peuvent en décider elles-mêmes), les délibérations du conseil communal sont en alsacien et ça ne pose aucun problème pourvu que ces délibérations soient ensuite traduites pour l'archivage ou l'envoi au ministère. Pour rappel, en Flandre, tout mot d'une langue autre est strictement interdit et entraîne l'annulation de toutes les décisions prises ce jour-là. C'est un peu différent, ne trouvez-vous pas ?

Sur l'identitaire, il y a une différence fondamentale entre les jacobins toutefois et le nationalisme de la N-VA. Les premiers n'attribuaient aucune qualité particulière au fait d'être français de langue natale et n'auraient d'ailleurs pu le faire dans un pays où la langue française, en 1789, était finalement parlée par une grosse minorité tout au plus. La N-VA, elle, se concentre sur l'identité flamande qu'elle tente de définir, ce qui en fait un parti nationaliste. Elle attribue de surcroît un territoire à cette langue, et lie les deux. La mise ensemble de ces deux éléments n'est pas du jacobinisme, qui se fiche éperdument de l'identité du citoyen et déclare simplement que tous doivent avoir les mêmes chances et que pour les avoir, ils doivent avoir accès au français, fût-ce de force (d'où l'interdiction des autres langues à l'école).

Écrit par : Marcel Sel | samedi, 20 octobre 2012

Bonjour, Avez-vous remarqué que par 2 fois dans son discours du 14/10 dewever à manifesté sa satisfaction à un retour à une situation politique "de la guerre" qui est, de moins en moi implicitement, sa période d'idéal politique.
En 2014 il proclamera que le point de "non retour" c'est précisément un retour vers un fascisme décompléxé !

Écrit par : GuyF | samedi, 20 octobre 2012

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Escroc intellectuel, vous n'êtes ni historien, ni journaliste, vos références wikipédia suintent le rédactionnel masturbatoire et vous n'êtes même pas foutu d'écrire sous votre véritable identité. Vos théories mélangent tout, votre secret consiste à noyer le lecteur dans un nuage de déductions et de clichés que vous instillez au fil de votre prose pour en faire la vérité, votre vérité.

Bien évidemment il y aura des gens pour se laisser séduire par cette apparence de savoir, de culture mais dès que l'on gratte le vernis, il ne reste pas grand chose d'intelectuellement valable dans votre littérature.

Votre construction est consternante d'évidence, votre ennemi la Nva et son incarnation, Bart Dewever constituent la cible, de la comme sous l'inquisition vous fabriquez, instruisez et dénoncez les élément à charge selon les besoins du dossier, de votre dossier.

C'est votre méthodologie, vous agissez quasiment toujours sous ce processus qui au fond ne constitue qu'une gigantesque escroquerie intellectuelle.
Le drame, c'est que votre pseudo-analyse, qui tient surtout de la compulsivité psychopathique dans votre chef, vos longs monologues en attestent, dénature totalement le débat qui devrait avoir lieu. Vous êtes un corrupteur Monsieur Sel, à part asseoir vos fantasmes de micro-célébrité, vos interventions régulières sur ces thèmes sont d'une vacuité sans fond et certifient dans votre chef, un fond de commerce bien plus qu'un authentique travail critique et équilibré.

Écrit par : L'autre sel | dimanche, 21 octobre 2012

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@ L'autre sel

"et vous n'êtes même pas foutu d'écrire sous votre véritable identité."

Ben... 'Y a pas que lui...!

Et à part éructer toute la souffrance de votre cerveau reptilien, auriez-vous des arguments qui tendraient à prouver l' "escroquerie intellectuelle"?

Parce que ça, ce serait vraiment intéressant...

Écrit par : Juliette | dimanche, 21 octobre 2012

@L'Autre Sel : très amusant de voir quelqu'un me reprocher d'écrire sous un pseudo (ce qui est un droit démocratique) et se décrédibiliser d'emblée en… écrivant sous un pseudo ! Moi au moins, je suis clair sur mes tendances, je ne cache pas mon visage, et la page wikipedia n'a pas été écrite par mézigue ni pas quelqu'un que j'aurais dirigé (comme le sont beaucoup des pages wikipedia flamingantes), et est dûment documentée. Enfin, attaquer la personne est toujours la solution favorite de ceux qui n'ont pas d'argument à opposer. Je ne m'attends pas à ce que ça change.

Écrit par : Marcel Sel | dimanche, 21 octobre 2012

C'est le genre de critique qui constitue un hommage involontaire. Marcel a bien fait de la publier.

Sur le fond, je pense que nationalisme/ patriotisme procède de la gradation plus que de l'opposition.Le problème, c'est le pouvoir et la politique. Ma patrie, c'est la liberté, qui est de partout où l'on refuse de se faire emmerder.

Écrit par : Pfff | dimanche, 21 octobre 2012

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