lundi, 11 septembre 2006

Usage approprié.

Ce matin, 19 septembre, le dos tout démonté, je me traîne jusqu'à ma cuisine en étirant mes bras jusqu'à Pluton pour remettre mes cartilages en place et, encore tout ébouriffé par une nuit assassine — sciatiquement parlant — je brûle d'avaler la dose de caféine qui ranimera mon stress et les délicieuses angoisses communes aux mortels. Illy, la déesse du réveil, est là dans la boîte hermétique que j'ouvre pour me servir la dose précise et obligatoire moulée dans la cuillère fournie (c'est bien organisé tout ça, quand même).


Je mets la machine en route. J'attends. J'impatiente. Le café crachouille comme un Manneken Pis en hiver et je sais déjà qu'il va me falloir trois bonnes minutes pour remplir mon bol, celui du matin, bassin olympique. Comme j'aime pas m'emmerder, je regarde au dehors. Mais les arbres sont les mêmes qu'hier, je trouve ça inintéressant, j'arrête de regarder dehors.

Je pense ouvrir le frigo. Voilà une activité distrayante ! Je pourrais ainsi savoir s'il contient du jus d'orange, ou plutôt s'il en contient encore depuis le passage matinal de ma Smala. Mais le frigo est à deux mètres et on est le matin et j'ai pas encore eu mon café. Donc, je fais le pied de grue devant ma machine ridiculement jaune. Mon frigo me regarde d'un air louche. Jaloux, peut-être. Je m'en fous. Il n'a qu'à avancer d'un mètre, après tout. Pourquoi c'est toujours moi qui doit tout me taper ?

Une minute a passé et toujours rien à faire. J'ouvre machinalement deux placards (qui sont à portée de main, eux, pas comme mon frigo), pour constater que les armoires sont pleines de boîtes, de marques, de gâteaux et de pâtes. Ça va, tout est normal.

Deux minutes ont passé et toujours rien à faire. J'ai alors un geste insensé : je prends la boîte de café de ma déesse et je lis ce qu'il y a d'écrit. Je passe sur les dates limites, la composition (caffè maccinato), l'adresse du fabricant. Et tout à coup, je vois une petite phrase imprimée en tout minuscule à-côté du code barre. Bon sang ! Qu'est-ce que je lis là ? Comment ne m'a-t'on pas informé de ça avant ? C'est terrible ! Et pourtant, je le savais, ça, qu'il fallait lire ce qui était écrit en petit ! Comment ai-je pu être aussi négligent ?

Je viens de découvrir qu'à-côté du code-barre, sur toutes les boîtes de café Illy, on peut lire, ou plutôt, non ! Il faut lire : « Ne pas utiliser cette boîte pour un usage inapproprié » !

Mon sang ne fait qu'un tour. J'essaie de me remémorer tout ce que j'ai fait de ces boîtes depuis que je fréquente les magasins de café de luxe. Je les ai prises en main, je les ai lancées, j'ai tapoté dessus, je les ai secouées, j'en ai fait des bongos, des congas, des maracas, j'ai mis de la nourriture pour chien dedans. Du café en vrac de marques inférieures. Un immense stress s'empare de tout mon être, mon coeur se serre, mon cou se pince : tous ces gestes étaient-ils bien appropriés ?

J'interroge Bosch (c'est le nom de mon frigo) d'un regard inquiet. Lui ne me répond pas. C'est son caractère. Il ronronne de temps en temps, ça oui, mais répondre, jamais ! Quelle ingratitude ! Moi qui le nourris chaque semaine !

Le pipi s'arrête, la tasse est pleine, c'est noir, c'est crémeux. Je bois. Mes papilles m'insultent de l'amertume que je leur impose. Mes nerf s'étirent. Mon sang monte dans les tours. Et je comprends enfin : cette blancheur de mon frigo, c'est un message. Un message pâle, mais papal. Oui, c'est ça ! Benoîtement, je me dis que cette phrase (Ne pas utiliser pour un usage inapproprié) est révolutionnaire, devrait être affichée partout. On dit que l'ustensile est sans âme, sans intérêt, mais en fait, celui-ci, cette boîte, a quelque chose que des oeuvres majeures de notre humanité n'ont pas. A commencer par les textes les plus saints. Si on avait écrit « Ne pas utiliser ce livre pour un usage inapproprié » sur la Torah, la Bible ou le Coran, le monde ne serait-il pas plus sain(t) ? Et si Monsieur Seize avait lu un avertissement semblable sur les commentaires d'un certain empereur, il aurait évité de fustiger l'Islam dans un discours autiste. Mais chacun sait que plutôt que de ratisser large, le pape ratisse Bonn.

Bien sûr, on lit partout que Sa seule volonté était d'affirmer que la religion et la violence, ça n'allait pas ensemble. C'est cool, man ! Peace and Love, Ben ! Sauf que, peut-être, prendre des exemples de violences religieuses dans la religion d'à-côté, c'est un peu facile quand les exemples de prosélytisme assassin ne manquent pas chez soi. De fait, les catholiques, ont fait très, très fort aussi, non ? Hein ? Quelques autodafés, quelques croisades, sans compter les Albigeois, et des indélicatesses de missionnaires ici ou là. Ou encore, un prédécesseur de Ben, un Pie, qui aida, dit-on, des nazis à rejoindre l'Amérique du Sud.

Ce café m'énerve, je dis des imbécillités. Pourtant, le kahwat, pour le réveil, ça me paraissait, euh, quoi ? Ah ben si : approprié !

N'empêche, plus j'y pense, plus je me dis que cette phrase est universelle. Ne pas utiliser pour un usage inapproprié. Je l'afficherais partout, si je pouvais. Monsieur Bush : « ne pas utiliser le 11 septembre pour un usage inapproprié » ; Monsieur Olmert : « ne pas utiliser le Sionisme pour un usage inapproprié » ; Monsieur Ben Laden : « ne pas utiliser l'Islam pour un usage inapproprié » ; Monsieur Castro : « ne pas utiliser Marx pour un usage inapproprié ». Ah ! Ça serait bien, un univers approprié !

Bon, ben voilà, merci mon frigo, à présent, je vois clair. Ça me fait même froid dans le dos (faut dire aussi que pour siroter mon café, je me suis appuyé sur la porte de Bosch).

Demain, j'essaie le thé.

 

© Marcel Sel 2009. Tous deoits réservés pour le monde entier. Reproduction interdite sans accord écrit de l'auteur.

14:40 Publié dans Humeurs brèves | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook |  Imprimer | | | |

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