mercredi, 17 juin 2009

La jeune fille qui voulait être galaxie. Ou pas.

Kimberley Vlaeminck est une jeune flamande et peut-être en passe de devenir un symbole — «Vlaeminck» signifie «flamand». Elle a demandé à un tatoueur «parisien immigré en Flandre» (selon De Standaard qui n'a pas peur des images fortes) de lui tatouer trois étoiles à l'œil, ou du moins tout près. Elle en aurait reçu cinquante-six pour le même prix. Selon certains journaux, elle attribue le quiproquo au fait que le tatoueur ne parlait que français et qu'elle ne comprenait pas bien l'anglais. Il se mit au travail et elle se serait endormie. L'immigré parisien en aurait alors profité pour lui tatouer tout le visage contre sa volonté. Mais tandis qu'un baiser a suffi pour réveiller la Belle au Bois dormant, Kimberley, d'une toute autre trempe, n'aurait repris ses esprits que quand il attaqua le nez. Aïe!


Toutefois, la petite Vlaeminck n'est pas toujours très claire dans ses explications: ainsi, le Français aurait préalablement dessiné 56 étoiles et elle, qui était venue pour s'en faire tailler trois, aurait accepté toutes celles au-dessus de l'arcade sourcilière, mais pas celles couvrant sa joue jusqu'au menton. Elle le lui aurait dit, mais lui, je le répète, ne parlait que français, alors qu'elle ne comprenait pas l'anglais. Qu'est-ce que l'anglais vient faire là-dedans, me direz-vous? Eh bien, apparemment, le réfugié français parlait l'anglais (avec elle) et c'est d'ailleurs dans cette langue qu'il a répondu aux questions des journalistes. On peut le voir dans le journal de VTM de ce midi. Le bougre parle en effet l'anglais, mais avec un accent pourrisien!

Tous les tatous
L
e tatoueur, parlons-en: son apparence ferait fuir une hyène affamée tant il est couvert de tatouages («le tatoueur, lui même couvert de tatouages et de piercings» dira le journaliste de la chaîne avec un dégoût presque imperceptible), la bouche en effet percée de dizaines d'anneaux, des plateaux dans le nez et les oreilles. Lui confier un millimètre de peau ne vient à l'esprit que de l'audacieux ou alors de l'inconscient. On est inconscient à vingt ans. La jeune fille en a 18 selon VTM (Flandre) et 19 selon RTL (Wallonie).

Tout repoussant qu'il est, le tatoueur a l'air sincère quand il dit (et que le reportage n'est pas coupé dès qu'il parle, comme sur d'autre chaînes) que la jeune fille était enthousiaste jusqu'à ce que son père entre dans le tatoo-shop et découvre la voie lactée sur son visage. Le paternel n'apprécia pas. Alors, la fille aurait changé de ton. Elle n'y pouvait rien. Elle s'était endormie. Pendant que le Parisien éjecté de sa nation triturait le tendre épiderme du jeune visage, pendant que ces aiguilles pénétraient la peau à un endroit où elle ne manque pas de nerf, traçant exactement 56 étoiles et en remplissant 54 (là-dessus, toute la presse est unanime), la jeune fille se serait donc… endormie! Pour ne se réveiller qu'à la douleur que causa l'attaque de l'artiste-piqueur sur le nez de la belle. Là et seulement là, elle a eu mal. Auparavant, elle a dormi.

Les Flamandes se tatouent sans rien dire…
C
ertains voient peut-être déjà en elle l'image de la courageuse Flamande s'il en est (Vlaeminck! En plus!), capable de roupiller sous les coups de boutoir de pointes acérées qui lui piquaient le visage d'une myriade d'astres qu'elle ne souhaitait pas. Mais elle n'a aucun mérite. Vous savez ce que c'est: quand on se lève à cinq heures pour travailler, eh bien, on s'endort n'importe où. Devant la télé. A table. Chez le coiffeur. Chez le tatoueur. Or tout le monde sait que qui se fait tatouer 56 étoiles voit 36 chandelles. (Je sais, elle est téléphonée, mais je m'en serais voulu si je l'avais gardée pour moi.)

Elle n'ose plus se regarder dans la glace. On lui tend un miroir. Elle se regarde. Ellipse. Son visage se mouille. Est-ce qu'on lui a dit, peut-être, que ces étoiles qu'elle a voulues (admettons) lui gâcheraient l'existence? Allons, ne soyons pas si durs. Croyons-la! Et si, en notre âme et conscience, nous n'y parvenions pas tout à fait, reconnaissons au moins son statut d'héroïne. On expliquera au tatoueur que ce sont «les risques du métier». On lui montrera ce film où Jacques Brel, en professeur de village, se fait accuser de viol par des jeunettes en mal de reconnaissance ou terrorisées d'avouer une vérité à leurs parents.

Etoiles à la une.
E
nsuite, on se posera tout de même deux questions. Tout d'abord, pourquoi est-elle à la une d'une bonne moitié des journaux imprimés et télévisés alors qu'il y a une révolution en Iran, l'annonce de l'Olivier à Bruxelles et en Wallonie pour une meilleure gouvernance, 2.500 morts de paludisme aujourd'hui. Ou alors, suis-je coupable, moi-même de cette diversion? Aurais-je trop tiré sur la grippe du cochon aviaire de Pancho Villa, qu'on farfouille désormais dans les chiens écrasés pour nourrir le lecteur d'étoiles noires et d'immigrés taoueurs, faute de sang frais à se mettre sous la dent?

Non, à la réflexion, je ne dois pas avoir ce pouvoir. Ce ne sont pas mes 128 lecteurs journaliers qui pourraient changer la télévision (notez que ça correspond tout de même à 3.000 nouveaux visiteurs par mois, c'est un bon début, non? Oui, j'avoue que je profite d'un sujet dramatique pour faire ma pub au passage, c'est mal, mais — avec la voix de Sarkozy: «au nom de quoi serais-je le seul blogueur qui n'aurait pas le droit de profiter de l'engouement médiatique autour de Kimberley pour faire ma propre promo?»

La discrétion incarnée.
L
a seconde question: un des arguments de la jeune fille est d'affirmer qu'elle n'ose plus aller dans la rue, ni se montrer aux gens. J'ai mis ce passage en boucle, pour tenter de voir si elle était sincère. Et je crois qu'elle l'était. Elle n'ose pas se montrer. C'est évident. Elle a été interviewée par au moins trois chaînes. On a pris au moins cinq ou six clichés différents, très professionnels, de son visage étoilé. Le tatoueur, lui-même, a sa photo dans son book. Ces images sont diffusées partout sur internet, sur RTL, dans De Standaard, à la VRT. Elle dit: «je n'ose pas sortir comme ça. Parce que je suis trop laide.»

Elle dit ça à cinq ou six millions de téléspectateurs dont la plupart se diront: que c'est triste, cette jeune fille qui n'ose plus se montrer. Le plus piquant (si on me permet cette vilénie), c'est la télévision qui la montre, passant dans la rue avec un capuchon, sa petite sœur toute blonde et mignonne à-côté d'elle, puis, dévoile son visage que la caméra n'a pas encore assez montré, en détail, zoomant complaisamment d'une étoile à l'autre.

Je n'ose plus me montrer, dit Kimberley. Face caméra…

Eh!

Ehoh! J'ai fini!

Eh! là-bas?

Dites, je vous parle! Vous dormez ou quoi?

La vidéo dans De Standard online en néerlandais, ou plutôt en West-Vlaams, c'est-à-dire dans le flamand authentique (et non ce néerlandais que les flamingants veulent imposer à la «Flandre») et qu'on ne parle que dans les durs pays de pêche et de labeur de champs de lin.

©Marcel Sel 2009. Reproduction interdite sauf accord écrit de l'auteur.

00:15 Publié dans Humeurs du Nord | Lien permanent | Commentaires (9) | |  Facebook |  Imprimer | | | |

Commentaires

cher Marcel, je fais partie de tes 128 quotidiens (allez quasiment disons).
et en France aussi (malgré nos tatoueurs ravageurs)
le Fait Divers, fait de plus en plus divers(ion).
magie de l'inutile, de l'extraordinaire, de l'éphémère, de l'abrutissement de la masse, mon bon monsieur.
et puis ce sublime hiatus de la surexposée média qui tique, et refuse désormais de montrer ses étoiles à la première boulangère locale et venue. ah, que bella vita.

quel plaisir de te lire. voilà, c'est tout !

Écrit par : mini | mercredi, 17 juin 2009

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Il ne me reste plus qu'à trouver les 127 restants. Et oui, il y a du travail dans pas mal de rédactions pour filtrer l'info. Ou au moins que les chiens écrasés, ou plutôt les étoiles tatouées soient traités correctement, comme on le fait avec Paris Hilton quand elle se déguise en Britney Spears pour écraser un journaliste d'Al Jazeera avec son Hummer en Irak.

Écrit par : Marcel Sel | mercredi, 17 juin 2009

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Scary.... fiant! Et un jeu de mots bilingue, un!

Wé. Pour ce qui est de la brave Kim, je crois sincèrement qu'elle prend tout son petit monde pour des cons, et ça dans toutes les langues.

Ceci dit, je trouve plaisant de voir un Français (parigot de surcroit) assumer le rôle de tête de Turc. Surtout avec une tête comme la sienne.

Écrit par : Claude | mercredi, 17 juin 2009

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Kimbernée aurait demandé 3 étoiles seulement au tatoueur...
Mais si on regarde bien la photo, ces 56 étoiles ont effectivement la forme d'un grand 3...
Cherchez l'erreur.

salut Marcel !
Bizzz
Dan

Écrit par : Dan Mac Roll | mercredi, 17 juin 2009

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Salut Dan!

Écrit par : Marcel Sel | mercredi, 17 juin 2009

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bonjour Marcel,
je ne fais pas, je l'avoue, partie des 128 quotidiens, mais à la recherche d'explications sur cette fille dont les étoiles ne brillent pas dans les yeux mais s'étalent sur le visage, je suis arrivée sur votre blog en premier, j'y ai trouvé toutes les infos que je cherchais et en plus je sors de la lecture avec le sourire sur le visage (plus appréciable à voir que des étoiles hihi)
Donc je vous dis un grand MERCI!
Je ne vous promet pas de devenir la 129 ème, mais je vais tout de même mémoriser l'adresse de votre blog et lorsque le temps me le permettra je viendrai cueillir un ou deux sourires dans vos pages :)
Bonne et agréable journée
Charlotte

Écrit par : Charlotte | jeudi, 18 juin 2009

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Charlotte, il n'y a rien de plus agréable que de faire rire une inconnue qui passait là par hasard.

Pour être informée des mises à jour, vous pouvez vous abonner à la newsletter ci-contre. Je n'envoie de bulletins qu'une fois pas semaine, tout au plus.

Une excellente journée, Charlotte !

Écrit par : Marcel Sel | jeudi, 18 juin 2009

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Ce blog et les articles qu'il contient m'interesse. En espérant recevoir votre newsletter. Merci

Écrit par : guillemeau christine | dimanche, 20 décembre 2009

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zut, je me suis trompé d'endroit...

Écrit par : idem | dimanche, 20 décembre 2009

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