Un blog de Sel

Madame est huissier. Huissière. Je ne sais pas comment on dit. En face, un monsieur moustachu. Dans une petite habitation pauvre. Ça se voit que c’est pauvre. Ça se sent. Ça colle au mur. Le monsieur articule mal. Y’a le trop-plein de misère, autour de lui, sur lui. Ou alors, c’est le trop-plein d’alcool qui le fait zozoter. C’est pareil : le trop-plein de misère amène le trop-plein d’alcool. C’est l’Assommoir, c’est vieux comme Zola. N’allez pas vous moquer. Relisez-le, Zola. Vous verrez que c’est moderne. C’est même ça le problème. La misère est de retour, nous dit ce reportage : «Exploits d’huissiers», à la RTBF, dimanche passé. Une vraie télé-réalité. Celle qui vous emmène dans un abîme de chaque jour. Quand on n’a plus droit qu’à vingt euros d’électricité par mois. Que les huissiers s’enchaînent. Même plus pour mordre, ils n’en ont plus la force : ils la voient bien, la misère. Ils la côtoient tous les jours. L’exploit, chez un huissier, c’est de garder quelque chose d’humain à ramener le soir, à la maison.

Et ils en croisent, des accidents de la vie ! De ces gens qui découvrent qu’avec un salaire, on ne peut plus vivre normalement, dans un pays civilisé. Autrefois, il y avait la paroisse, le secours populaire, la solidarité spontanée, on se tenait les coudes. Aujourd’hui, il y a des gosses de vingt ans qui vivent dans des tentes parce qu’ils n’ont pas les moyens, en travaillant, de payer un loyer. Je sais, je ne suis pas drôle. Mais comment l’être ? Des milliers de pêcheurs américains sont en train de tout perdre à cause d’une marée noire. Les fonctionnaires grecs vont se prendre la crise en pleine face. On fait tomber un gouvernement belge en oubliant les mesures temporaires qui sauvent des milliers d’emplois. Alors, en cette semaine de fête du Travail, par solidarité avec tous ceux qui n’en ont pas, moi aussi, je fais la grève. Oui. Voilà : je fais la grève du rire. Et croyez-moi, ça n’a rien d’un exploit !