samedi, 06 novembre 2010
Plan B ? Planté ! (Revue de détail de la perspective d'une indépendance flamande).
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C’est une info du Standaard. Le titre de l’article : «VRT wuift België uit». En français : «La VRT dit adieu à la Belgique.» L’info : le 21 novembre 2010, la VRT présentera dans Panorama un reportage dans lequel Ivan De Vadder interroge 12 professeurs sur la scission de la Belgique, les méthodes imaginables, les obstacles potentiels. Le timing ne dérange apparemment pas la VRT. Une semaine plus tôt, l’on saura probablement si Vande Lanotte aura réussi à rapprocher les visions de la N-VA de celles du PS. Une mission impossible, sauf si le PS décidait de céder les droits inaliénables de la minorité francophone, mais aussi le droit à la solidarité nationale. Je vous fais le pari qu’au moment où cette émission débutera, le pays sera toujours sans gouvernement, et sans la moindre perspective d’en avoir un. Mais De Vadder explique en substance au Standaard que, comme les partis francophones ont évoqué le «plan B», il est normal que la VRT explore la question. Où l’on voit que décidément, tous les prétextes sont bons à la télévision publique flamande pour mettre de l’huile sur un feu déjà crépitant. Chiche, dis-je. Voici, avec deux semaines d’avance, une vision sans ambages et sans faux-fuyants de l’état actuel du dossier «België barst». Accrochez-vous.
Plan B comme Bourde
Début octobre, Elio Di Rupo s’est fendu d’une déclaration des plus maladroites, plongeant la tête la première dans la logique de la N-VA. La déclaration ? Qu’en cas de scission du pays, Bruxelles et la Wallonie reviendraient «aux Francophones» ! Bien entendu, chaque Francophone aura compris qu’il entendait par là que seule la population bruxelloise, à 87% francophone électoralement parlant, était en droit de décider de l’avenir de la Capitale et que donc, si la Flandre revendiquait son indépendance, l’état résiduel serait forcément à majorité francophone, et dirigé par ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « les partis francophones ». Ce ne sont donc pas « les Francophones » en tant qu’ethnie organisée ayant à leur tête Elio Di Rupo qui prétendent «réquisitionner» Bruxelles pour eux-mêmes, mais bien la population, démocratiquement, qui est de fait francophone.
Di Rupo ajoute que les communes «de Flandre» à majorité francophones seraient certainement rattachées à Bruxelles. En cas de sécession de la Flandre, il est en effet très probable que l’Union Européenne et l’ONU reconnaîtraient que les communes à majorité francophone de la Périphérie ont vocation à rejoindre la Région bruxelloise. Et bien sûr, il est fort improbable que la Flandre puisse «garder» Bruxelles, parce que sa population ne le veut pas. Tous les sondages montrent que moins de 5 % des Bruxellois se reconnaissent dans le projet flamand. Le constat d’Elio Di Rupo est donc des plus réalistes. Mais en l’exprimant en tant que «chef des Francophones» (c’est en principe comme ça qu’il est perçu en Flandre), il a donné du bon grain à moudre à la N-VA, et à certains CD&V comme Eric Van Rompuy, pour qui les Francophones sont des impérialistes qui cherchent à tout prix à s’approprier des choses qui ne leur appartiennent pas, comme Buxelles, ou pire, ce petit pour cent de la Flandre que sont les communes à facilités. Jusqu’ici, il était facile de leur répondre : «mais quelle est cette armée francophone qui va envahir la Flandre ? Qui est son général ?». Tout Flamand mal informé a aujourd’hui une réponse : le général, c’est Elio Di Rupo.
Plan B comme «Brussel».
Parce qu’en Flandre, depuis des lustres, des médias ânonnent que Bruxelles ne serait même pas à 50 % francophone (au lieu de 87 %, résultat électoral sans appel), que la Périphérie fait partie d’un État flamand consacré par un soi-disant «principe de territorialité» (alors que la Constitution permet la modification des frontières de régions fédérales et linguistiques) et que les Francophones de la Périphérie, y compris dans les communes à facilités ne sont pas une minorité, mais une anomalie (niant ainsi les droits de la minorité en question). Enfin, la Flandre n’est pas, comme le font croire ses politiciens, un espace unilingue, et les preuves, précieuses comme des diamants, de la présence d’une minorité historique sont l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde, et les facilités. Mais, du fait de la présence des mythes bien installés par une vision nationaliste soigneusement diffusée, imprimée, conceptualisée, toutes ces réalités sont inexistantes dans l’imaginaire politique présenté aux Flamands. Et la traduction immédiate des propos d’Elio Di Rupo fut «Anschluss». La réaction n’a d’ailleurs pas tardé. Elle est venue de Kris Peeters en personne. Langage clair, dur : «La Flandre n’abandonnera jamais Bruxelles». Autrement dit, nous voici face à une revendication ouverte des deux communautés sur la Région de Bruxelles-Capitale. Une revendication territoriale. De celles qui finissent un jour, si on n’y prend pas garde, par faire «boum».
Plan B comme Boum
Or, il est évidemment hautement probable que l’évolution politique, si elle nous entraînait à une séparation, amène les Bruxellois à choisir une association avec la Wallonie. Surtout lorsqu’ils auront compris que Brussels DC est impraticable, invivable, mortel pour l’économie de la ville. L’Union européenne n’a pas vocation à gérer une ville, la Flandre est maîtresse de la mobilité bruxelloise — ce qui rend une autonomie bruxelloise invivable —, et enfin, elle a de ce fait le moyen de bloquer, ou mieux, de dévier l’économie de la Capitale vers les zones flamandes immédiatement adjacentes, c’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui avec la vaste zone qualifiée de «Brussel Bis» autour de Zaventem. Autrement dit, Brussels DC n’a pas les garanties nécessaires de survie parce que les flamingants, au pouvoir en Flandre aujourd’hui (de Kris Peeters à Geert Bourgeois), qui clament qu’ils n’abandonneront jamais la Capitale, utiliseront tous les moyens possibles pour la «forcer», à terme, à «accepter» son destin flamand. C’est une simple question de logique. Soit, Kris Peeters bluffe, soit il doit utiliser les moyens à sa disposition pour se réapproprier la ville, et la mobilité en est un terriblement puissant.
Aujourd’hui déjà, en suspendant tout refinancement de la ville qu’ils devraient chérir le plus, «leur» capitale, les flamingants du CD&V et de la N-VA sont coresponsables d’une paupérisation qui touche d’abord les retraités, les fragilisés, les «quartiers». Or, les lotis ne se soulèvent pas. On ne risque pas sa vie quand on la gagne bien. Mais la paupérisation plus ou moins organisée de la ville la plus riche d’Europe (après Londres) crée des émeutiers en puissance, des soldats d’occasion qui n’ont déjà aujourd’hui plus rien à perdre. Charles Piqué a raison de dire que Bruxelles est une casserole sous pression. Un jour, le couvercle sautera.
Plan B comme Belgique résiduelle
En revanche, la Wallonie respecte (jusqu’ici) l’autonomie bruxelloise, et il faut bien avouer que Bruxelles est politiquement plus proche, quoi qu’on en dise, de la Wallonie que d’autre chose : mêmes partis, mêmes grosses têtes politiques, et un hinterland brabançon wallon indispensable et favorable (sans parler de l’aéroport de Charleroi, vital si un jour l’accès à Zaventem était rendu compliqué aux Bruxellois). On parle anglais, allemand, néerlandais à la «mairie» de Waterloo. On ne parle que néerlandais à la mairie de Zaventem. Le choix, quand on héberge les institutions européennes, est vite fait. La Wallonie est relativement pauvre (mais regorge d’opportunités), mais pas plus qu’un bon tiers des Länder allemands, et à peine plus que la moitié des régions françaises. Bruxelles a les moyens, si elle perçoit l’impôt sur le lieu de travail, si elle zappe les exigences linguistiques de plus en plus oppressantes, de donner du travail, et d’investir dans la région wallonne. Ce n’est pas pour rien que pratiquement aucun politicien francophone n’entrevoit autre chose comme plan B que le «Wallobru».
Pour autant, la déclaration de Di Rupo est déplacée. Car même le Wallobru ne peut être «francophone» : les Bruxellois néerlandophones, les Wallons néerlandophones des communes à facilités et les Germanophones interdisent par leur légitime présence de concevoir une éventuelle future Belgique résiduelle comme un espace unilingue. La Belgique d’après la scission doit se construire sur des valeurs et non pas sur une langue.
Pour éviter la bourde de Di Rupo (une Belgique «francophone»), il fallait auparavant (en juin) qualifier clairement la N-VA, (et avec quelques nuances, le CD&V) de «parti nationaliste». L’opposition qui mine la Belgique n’a pas pour adversaires «les Flamands» et «les Francophones», mais bien des nationalistes et des démocrates. En laissant de côté cette définition pourtant cruciale, les «partis francophones» se sont obligés à entrer dans la logique nationaliste. En se profilant comme «francophones», ils entrent en plein dans le manichéisme ethnique des nationalistes flamands. J’avais écrit en juin qu’en négociant avec les nationalistes, on en arriverait à valider leur dichotomie. C’est donc chose faite.
Plan B comme Bart
Pour rappel, le nationalisme est une doctrine qui réserve la citoyenneté aux gens qui possèdent une identité sur laquelle se base la «nation» qu’il défend — ici, le fait d’être flamand (Vlaams Belang, N-VA), de penser flamand (Willy De Waele, Open VLD) ou de parler néerlandais (CD&V, SP.a, Groen!). La doctrine démocrate met au contraire les citoyens sur un pied d’égalité inconditionnel, comme le dit Rudy Demotte : tout Belge habitant la Wallonie est un Wallon, qu’il connaisse le français ou pas. Cette inconditionnalité de la citoyenneté et du droit est le fondement de l’Europe postnationaliste. La Flandre tente aujourd’hui de supprimer toute autre langue dans son administration, la Wallonie encourage financièrement les communes qui, à l’inverse, proposent des «facilités spontanées». Elle lance (péniblement) des expériences d’enseignement en immersion que la Flandre interdit. Des deux, c’est bien la Wallonie qui s’offre aujourd’hui, mais avec trop peu de moyens, les meilleures chances de répondre aux défis de demain.
Plan B comme But commun.
L’évocation brutale d’une scission du pays par les Francophones reflète un mouvement populaire de plus en plus perceptible qui s’exprime ainsi : «si les Flamands ne veulent plus de la Belgique, mais bon sang, qu’ils s’en aillent» (les journalistes Flamands ont d’ailleurs l’air de dangereusement sous-estimer cet énervement francophone). Mais en évoquant ouvertement ce fameux Plan B, les «partis Francophones» jouent avec une bombe à retardement dont ils n’ont pas le mode d’emploi. Car même si une équipe (4P3U pour «4 partis, 3 universités») «prépare» l’éventualité d’une scission depuis une petite décennie, de manière plutôt sporadique, «en face», il y a une masse de spécialistes qui étudient la scission depuis plusieurs décennies, et au quotidien. La mécanique flamingante est admirablement huilée, très efficace, traversant toutes les tendances. Mark Demesmaeker et quelques autres sulfureux nationalistes font le lien entre la N-VA et le Vlaams Belang. Le gouvernement flamand est le lieu de réflexion idéal pour la N-VA et le CD&V. Côté «modérés», les ex-VU entrés chez Groen! ont par exemple réussi à imposer à Europe-Écologie, le parti européen de Daniel Cohn-Bendit, d’héberger dans son groupe parlementaire le siège de député européen de la N-VA malgré les protestations vigoureuses d’Ecolo. C’est simple : Groen! aurait carrément menacé de quitter le groupe parlementaire Europe-Écologie si la N-VA n’y rentrait pas ! Cela ne prouve-t-il pas que le flamingantisme s’est installé à tous les niveaux de pouvoir flamands, à travers les partis ? L’on pourrait aisément en déduire qu’il existe une «cinquième colonne flamingante» qui traverse toutes les couches partisanes, et dont les membres luttent ensemble, de Groen! à la N-VA, dans un but commun, la très large autonomie, sinon l’indépendance de la Flandre. Avant que les Francophones développent une telle organisation, il faudra des décennies. Or, si ça se trouve, la Belgique n’a plus que deux ou trois ans à vivre. Retard. Cruel retard.
Plan B comme Blok
Le Vlaams Blok (ancêtre du Vlaams Belang) rédigeait des textes très précis sur l’indépendance flamande dès les années 80. Certains de ceux-ci prévoyaient une reflamandisation forcée de Bruxelles. Dans leur ouvrage de 1990 «L’indépendance se peut et se doit» («Onafhankelijkheid kan en moet»), les «Blokkers» Joris Van Hauthem et Wim Verreycken écrivaient déjà : «dans une Flandre indépendante, tous les Bruxellois, à l’exception des étrangers bien entendu, sont des citoyens flamands, et donc également soumis aux lois flamandes.» Ils précisaient : «L’objectif final doit être de refaire de Bruxelles une ville néerlandaise, de fait, par la langue, la culture et la vision globale.» Quant aux écoles francophones, elles continueraient à exister… temporairement. Joris Van Hauthem a bien entendu signé la pétition de Swa Cauwenbergh (Vlaams Belang) réclamant l’indépendance de la Flandre. Pour les naïfs qui pensent que leur influence se limite au Vlaams Belang, plus de 15.000 autres personnes ont signé cette pétition en ligne, dont 91 membres de la N-VA — mandataires ou dirigeants locaux pour la plupart. Le texte explicatif précise que Bruxelles ne peut survivre qu’en étant reprise en main par la Flandre, et que la gestion flamande réservera un traitement «sévère et juste» aux étrangers des «ghettos» pour que «l’autochtone bruxellois» se sente à nouveau chez lui.
Dès 1999, c’est le Parlement flamand qui, par ses cinq résolutions, conceptualisait la rupture de la solidarité avec les non-Flamands. Ces cinq résolutions sont au cœur des négociations actuelles, qui visent ni plus ni moins à arracher à la Wallonie et à Bruxelles une structure confédérale unilatéralement conçue par les partis flamands, au seul avantage de la Flandre. L’idée de communautariser la sécu, et donc que le Flamand bénéficie d’autres avantages que le Francophone à Bruxelles, est notamment sortie du cerveau de Luc Van den Brande, ex-président de la Région flamande, et CD&V. En violation flagrante de la Constitution belge, on y précisait que la Belgique serait dorénavant composée de deux États (au lieu de six entités fédérées), qui cogéreraient Bruxelles à parts égales, que «les Flamands de Bruxelles font intégralement partie de l’État (con)fédéré flamand» (selon un principe qui rappelle dangereusement le pangermanisme et particulièrement les Sudètes) et que chacune des deux «ethnies» bruxelloises dépendrait de son État (con)fédéré respectif pour les compétences sociales et familiales qu’il exercerait à l’avenir.
Plan B comme Apartheid
C’est l’apartheid social voire fiscal, rien de moins. En mélangeant ainsi l’inviolabilité du «territoire flamand» à l’inviolabilité du «peuple flamand», le Parlement flamand, pratiquement unanime, réclamait le beurre et l’argent du beurre, violant dans ses propres résolutions le principe même qu’elles énonçaient, la frontière linguistique étant réputée inviolable, sauf pour… les Flamands de Bruxelles. Depuis, les partis nationalistes de droite radicale (N-VA) et d’extrême droite (Vlaams Blok, puis Vlaams Belang) n’ont pas cessé de rappeler aux partis réputés démocrates qu’ils s’étaient engagés sur la voie de l’autonomie flamande, bientôt rebaptisée «confédération». Un concept désormais parfaitement assimilé par les médias flamands. Tandis que les Francophones, accrochés aux principes unioneuropéens, en sont désormais réduits à les brader dans un marchandage abscons.
Mais l’unité flamingante va bien au-delà des partis et des médias. En 2005, des membres du même CD&V, de la N-VA, et le futur président du Vlaams Belang (qui a co-fondé la NSV, jeunesses néo-nazies flamandes qui rendent notamment hommage aux ex-Waffen SS chaque année et reprennent sur leur site le chant de guerre des collabos armés) réfléchissaient ensemble à l’indépendance économique flamande dans un manifeste intitulé «In de Warande». Ils le faisaient avec l’ex-patron de la KBC, le rédacteur en chef politique du Belang Van Limburg, le patron de Trends, l’ex-patron de la banque HBK, le directeur adjoint du centre de connaissance du VOKA, et Herman De Bode, précédemment directeur général de McKinsey (qui dut d’ailleurs démissionner de la société de consultance pour avoir signé ce manifeste, ce qui honore l’entreprise). Il y avait là aussi Jan Jambon (aujourd’hui ponte de la N-VA), qui était alors haut placé chez Bank Card Company. Et Guido Naets, ex-directeur du centre d’études du CVP (CD&V). Voilà les mondes politique, économique, journalistique réunis dans un projet d’indépendance de la Flandre, avec au programme — devinez quoi ? — une cogestion de Bruxelles par les deux États indépendants, Flandre et Wallonie. La seconde étant déconnectée territorialement de la Capitale, elle aurait presque immédiatement été dans l’impossibilité de remplir son rôle, et Bruxelles serait revenue de fait à la Flandre.
Plan B comme Barnum
Parmi les autres signataires de ce manifeste, un paquet d’universitaires, principalement de l’Université d’Anvers et de l’Université libre flamande de Bruxelles (VUB), mais aussi de la KUL (Leuvent) ou de l’uGent, des dirigeants de groupes de presse ou de magazines (Tijd, Trends) des chefs ou ex-chefs d’entreprise et cadres supérieurs (en vrac, DHL, TNT, Cosimco, KBC, Alfa-Laval, C&A, Rockwool, Alcatel, Janssen Pharma, Barco, Communauté du Port d’Anvers…), des cadres du VOKA (organisation patronale flamande qui regroupe 17.000 entreprises représentant de son propre aveu 60 % de la valeur ajoutée de la Flandre et près d’un million d’emplois), mais aussi l’inénarrable Bart Maddens. Sans oublier, cerise sur le gâteau, le directeur de la Croix Rouge flamande. En France, cela serait revenu à associer l’UDF et l’UMP à Jean-Marie Le Pen, avec le directeur de l’Economiste ou des Échos, le rédac-chef du Figaro ou du Monde, des ex-patrons de la BNP et de France Télécom, des universitaires d’un peu partout, et le patron de la Croix Rouge.
Face à cette machine «de guerre» qui réunit des flamingants de tous les horizons, en Wallonie, on a aujourd’hui quelques experts réunis autour d’un projet démocrate, qui n’ont pas la moindre chance de répondre à temps aux défis qu’impliquerait un plan B, sinon de gesticuler en hurlant à l’aide. D’autant que les partis flamands les plus nationalistes ont entre-temps diffusé le contenu des résolutions comme autant de concepts inviolables : frontière linguistique fixe (contraire à la Constitution), apartheid social, voire fiscal dans la Capitale (contraire au droit européen et à la morale démocrate élémentaire), nécessité d’imposer aux «autres Belges» l’autonomie la plus large possible au seul bénéfice de la Flandre (contre le principe de nation même), imposition de l’unilinguisme absolu de toute la Flandre (contre la Constitution, le droit des minorités), abolition des droits électoraux et judiciaires des Francophones de BHV, abolition unilatérale des facilités (contre le droit des minorités, et la Constitution). Aujourd’hui, la Flandre politique se retrouve coincée par le refus éventuel des Wallons et des Bruxellois de céder à ce chantage inacceptable. S’il n’obtient pas ce surcroît de compétences, qui touche plus de 90 matières, en passant par le Code de la route, les achats de l’armée, la Mer du Nord, qu’est-ce que le CD&V peut faire d’autre qu’aller au bout de sa logique, à savoir, de déclarer ou de ne pas s’opposer à l’indépendance de la Flandre ? C’est en effet la seule porte de sortie imaginable pour la Flandre politique, faute de quoi, c’est l’ensemble des partis flamands qui risque de perdre toute espèce de crédibilité auprès de son électorat. Les «valeurs» diffusée par le mouvement flamand sont aujourd’hui trop bien assimilées dans la population pour que les politiciens puissent se permettre un retour en arrière,
Plan B comme Brun
Et si cette indépendance était réellement si étrangère à la volonté du CD&V, pourquoi ce parti «chrétien démocrate» se serait-il associé à un parti ouvertement indépendantiste en 2004 ? Comment aurait-il pu, aussi facilement, former le cartel avec la N-VA, impliquée dans le VVB qui prétend reflamandiser Bruxelles, et au Taal Actie Kommitee qui qualifie les Francophones de «rats» ? Pour rappel, à l’époque, la N-VA était encore un parti minuscule qui ne manquait de surcroît pas de connexions avec l’extrême droite du Vlaams Belang (Ijzerwake, Fête du chant national flamand…) ce dernier n’hésitant pas à célébrer la mémoire d’un nazi notoire, antisémite, devant des milliers de spectateurs, la même année ? Ce faisant, Leterme, Van Rompuy (Herman et Eric), Kris Peeters plongeaient tête la première dans un univers d’un brun nauséabond. Un jusqu’au-boutisme qui doit nous en faire craindre un autre, celui qui revient, pour ces chrétiens-démocrates, à abandonner la Belgique si celle-ci refusait de mettre en œuvre les résolutions flamandes. Pire, dès lors que la Belgique ne peut plus, suite à ces résolutions, qu’être une construction au service de la Flandre (c’est le sens de la «révolution copernicienne de Kris Peeters), quel intérêt les autres composantes de l’État pourraient-elles encore y trouver ?
Admettons donc qu’immanquablement, la Flandre est en route vers son indépendance, faute de toute autre voie ouverte. Le problème, c’est la mise en œuvre concrète de cette révolution. Pour nous rassurer, et rassurer son «peuple», Bart De Wever explique que la Belgique va s’évaporer, et que donc, tout cela se fera très progressivement, sans heurts. Curieux qu’aucun journaliste n’ait jamais relevé cette absurdité : l’eau s’évapore. Mais un pays n’est pas fait d’eau. Il est fait de lois, de structures, de citoyens, de droits, de compromis. Même si la Belgique finissait un jour par ne plus avoir de réalité structurelle, il resterait à partager le bien commun. Et ni Bruxelles, ni les minorités francophones, n’ont vocation à s’évaporer. Il y a aura donc forcément, dans ce processus de disparition mystérieuse, un moment où la question bruxelloise et celle des minorités se posera. Ce qui pourrait bien transformer l’évaporation apparemment innocente en une déflagration.
Plan B comme BHV
Il est donc impératif de s’intéresser au moment de l’indépendance flamande. Parce qu’il est impossible d’imaginer que la réflexion flamingante se soit arrêtée à la publication du manifeste de «In de Warande». De plus, si les résolutions de 1999 n’ont pas été suivies d’effet immédiatement, si les partis flamands n’ont pas tout de suite exigé des Francophones qu’ils obéissent à leur Diktat, c’est tout d’abord, parce que le moteur de ce confédéralisme, le CD&V, a été éloigné du pouvoir national pendant huit ans. Ce sont les deux législatures de pacification communautaire sous l’égide de Guy Verhofstadt. C’est ensuite parce que les concepts nécessaires à obtenir un vaste soutien populaire n’étaient pas encore suffisamment diffusés dans la population. Pendant ces huit années, les intellectuels flamingants ont pu préparer la riposte contre la politique de compromis et d’union nationale de Verhofstadt, élaborant des principes facilement vendables à la population, attaquant la solution BHV développée par le même Verhofstadt et (tiens, tiens…) Vande Lanotte, ressoudant la partisanerie flamingante en un cartel CD&V / N-VA qui finira — mais ça n’était pas prévu — par donner le pouvoir à ce dernier.
Depuis l’opposition, les flamingants ont eu toute liberté pour développer une stratégie de type rouleau compresseur. La première attaque eut lieu dans Libération, lorsqu’un certain Yves Leterme mit en doute l’intelligence des Francophones de la Périphérie, et annonça la fin des facilités pourtant constitutionnelles. Il gagna les élections avec un programme nationaliste, et lorsqu’il prit, enfin, possession du 16 rue de la Loi, ce n’était probablement pas pour diriger la Belgique, mais dans le but unique, comme le déclarait Geert Bourgeois le 4 juin 2010 à la VRT (dans Terzake), «d’acquérir les compétences pour la Flandre». Autrement dit, notre premier ministre actuel n’avait aucunement vocation à résoudre les problèmes des Belges, comme un chef d’État se doit de le faire, mais exclusivement à obtenir plus d’autonomie pour la seule Flandre, autrement dit, de continuer l’œuvre inachevée du premier ministre-président de la Flandre, le précité Luc Van den Brande, qui s’était engagé à ne jamais ratifier la Charte des Minorités imposée par l’Union européenne. Aujourd’hui encore, Yves Leterme n’agit visiblement que pour le compte de la Flandre. C’est même lui qui le dit : à la BBC (Hard Talk), il expliquait cet été que la réforme de l’État était indispensable, non pas «pour la Belgique», mais bien «pour la Flandre» ! Lorsqu’il fait cette invraisemblable déclaration, il est non seulement premier ministre belge, mais aussi premier ministre du pays occupant la présidence tournante de l’Union européenne, et membre du parti du «président européen» Herman van Rompuy lui-même.
Plan B comme Blitzkrieg, mais en plus lent
En 2005, à la sortie du manifeste «In de Warande», le CD&V et la N-VA étaient en cartel, et heureux de l’être. La communion de pensée entre la N-VA et la clique nationaliste du CD&V était en fait telle que l’expression de «révolution copernicienne» (soit l’évaporation progressive du niveau fédéral au profit des deux communautés, un chemin lent mais sûr vers une indépendance flamande), utilisée maintes fois par le ministre-président flamand CD&V Kris Peeters depuis 2007, est aujourd’hui si fréquente à la N-VA que certains vont jusqu’à l’attribuer à Bart De Wever ! Imaginons donc que la mise en pratique de cette révolution ait bien été prise en charge par Leterme et De Wever, en tant que coprésidents du cartel. Et imaginons ensuite qu’un certain nombre de ces indépendantistes et confédéralistes aient rapidement compris que la cogestion de Bruxelles n’était pas envisageable sérieusement, et en tout cas pas tenable à long terme — du reste, le groupe In De Warande a promis un second manifeste pour développer le sort de la Capitale, qui n’est jamais paru (parce que les conclusions étaient trop «dangereuses» ?). Sachant que les chances d’imposer leur vision à Bruxelles et à la Flandre étaient plus minces qu’une feuille Riz La +, il semble évident que les multiples scénarios de fin de pays ont forcément fait l’objet d’études poussées en haut-lieu flamingant. Et la communication elle-même fait l’objet d’un soin étonnant. Pourquoi faut-il arracher à Kris Peeters des précisions sur le sort final de Bruxelles ? Pourquoi la N-VA oscille-t-elle entre cogestion et flamandisation ? Pourquoi ce flou organisé autour du «véritable» projet flamand pour la Capitale ?
Celui du Vlaams Belang du début de la décennie, qui a bizarrement disparu du web, avait le mérite d’être clair : Bruxelles serait la Capitale de l’État flamand, et les Bruxellois francophones auraient droit à un conseil culturel. Mais celui-ci serait chapeauté par la Flandre. Et l’administration serait uniquement néerlandophone. À terme, les Francophones seraient flamandisés. Pour en savoir plus, il faut interroger le Voorpost, le «service d’ordre» du Vlaams Belang, où l’on s’entend dire ouvertement que le but est la bien la flamandisation de la ville et/ou l’expulsion des Francophones de Bruxelles. Un député de ce parti, Guido Tastenoye, ex-journaliste politique du Gazet Van Antwerpen, a même expliqué, en 2001, comment forcer Bruxelles à accepter un riche financement de la Flandre — en l’affamant littéralement : blocage des sorties routières, fluviales, ferroviaires de la ville jusqu’à ce qu’elle accepte la «manne flamande» (produite à Bruxelles, mais bon). Frank Vanhecke s’était alors empressé de contredire l’intéressé, mais n’est-il pas étonnant de retrouver cette vision huit ans plus tard chez Bart Maddens : l’asphyxie financière de la ville pour la forcer à négocier avec la Flandre ? Et d’entendre la N-VA susurrer que c’est la stratégie du gouvernement flamand ? Et Kris Peeters de ne pas la contredire clairement ? Et découvrir ensuite qu’en effet, la paupérisation de la ville est de plus en plus visible ? Si ce même Kris Peeters est longtemps resté très évasif sur l’avenir de Bruxelles, c’est peut-être parce que sa vision radicale n’était pas partagée par tout le CD&V. Mais aujourd’hui, c’est différent. Il dit les choses plus clairement qu’il ne les a jamais dites, et c’est le déni franc et absolu de l’autonomie bruxelloise, et de son droit de sécession en cas de scission du pays. Sa charte pour la Flandre, prélude à la Constitution flamande, n’est pas triste (voir mon article à ce sujet) : obligation de s’adresser à l’administration flamande en néerlandais, pas de facilités, le néerlandais pour langue unique. Et Bruxelles pour capitale. Le contraire de la doctrine unioneuropéenne traduite par le Traité de Lisbonne !
Plan B comme Blocage
On aurait bien tort de croire que les autonomistes du CD&V et de la N-VA sont des naïfs et qu’ils pensent obtenir tout sur un plateau simplement parce qu’ils le veulent. Faire plier les Francophones en laissant Bruxelles s’asphyxier par manque de moyens, alors qu’elle est la productrice principale des moyens de la Nation, c’est donc apparemment la stratégie commune au CD&V et à la N-VA. Et la Capitale pourrit à vue d’œil. Comment, dans une ville qui a un PIB supérieur à n’importe quelle autre ville comparable en Europe, en est-on arrivé à ¼ d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté ? À 28 % de jeunes nés dans une famille dont les deux parents sont chômeurs ? À un déficit de 600 policiers dans le cadre légal, alors que les candidats bruxellois pullulent ? À la perte, en 20 ans d’un quart de son industrie, au profit, principalement, de la Flandre environnante ? C’est la faute au PS ? Allons donc ! Le gouvernement bruxellois est paritaire francophones/néerlandophones, il a été libéral par le passé, et même les libéraux flamands des divers gouvernements bruxellois reconnaissent qu’on refuse à la ville le minimum vital. On est donc très probablement face à une stratégie délibérée d’assèchement économique du siège même des institutions européennes. Autrement dit, ce que Guido Tastenoye suggérait en 2001, la Flandre institutionnelle le mettrait en pratique en 2010.
Plan B comme Bourgeois
La persévérance des flamingants se voit aussi dans leur communication internationale. Car même le Vlaams Belang a compris, dès la fin des années 90, qu’en cas d’indépendance flamande, Bruxelles pourrait échapper à la Flandre. L’arme secrète qu’ils ont imaginée à cette époque était de revendiquer internationalement Bruxelles comme capitale de la Flandre bien avant que la séparation n’ait lieu. Étrangement, c’est exactement ce que font les offices officiels de l’Autorité flamande depuis trois ans, et plus activement encore depuis que Geert Bourgeois a pris la direction des opérations touristiques. Vous croyiez sérieusement que les cartes qui intègrent systématiquement Bruxelles dans la Flandre ou la décrivent comme une ville flamande sont toutes des erreurs d’impression ?
Nul ne peut ignorer aujourd’hui l’ampleur et l’ambition des tactiques et stratégies déployées depuis 2007 pour faire accepter la révolution copernicienne par les Francophones. Elle implique le CD&V, la N-VA, la VRT, De Standaard, et quelques autres médias, un groupe universitaire à la KUL, des intellectuels, des économistes, le VOKA, et bien d’autres offices. Tous martèlent la même vérité : la Flandre a besoin que Bruxelles et la Wallonie acceptent une révolution copernicienne, ce qui revient à mettre l’État belge au service de la Flandre. Tous utilisent les mêmes concepts, qui sont le résultat de recherches sémantiques devant convaincre rapidement la population flamande, et sans nuances. «La frontière linguistique est une frontière d’État» (inconstitutionnel) ; «Les Francophones refusent d’apprendre le néerlandais» (procès d’intention) ; «Bruxelles est une ville flamande volée par les Francophones» (mensonge historique) ; «Les transferts flamands vers la Wallonie sont parmi les plus élevés d’Europe» (archifaux : ils sont plus importants en Angleterre, en Allemagne, et même en France) ; «La Cour Constitutionnelle exige que BHV soit scindée» (faux) ; «Le fédéral freine la Flandre» (tordu, puisque le premier ministre est flamand) ; «Seule une confédération sauvera la Flandre» (probablement faux). «Bruxelles est la capitale de la Flandre» (faux). «Les facilités sont des privilèges» (faux). «Raccorder les communes à facilités à la Région bruxelloise est un Anschluss» (faux dans un État fédéral, antidémocratique à l’aube d’une scission). «Les Wallons n’ont jamais rien transféré aux Flamands» (faux).
Plan B comme Bordel
On se prend à admirer la cohérence du discours truffé pourtant d’inexactitudes et d’approximations, pour rester dans un monstrueux euphémisme. Et l’on peut se demander ce qui pourrait arrêter les partis flamingants dans cette conquête de l’autonomie. On a vu qu’ils n’avaient absolument pas peur de provoquer un véritable chaos économique et démographique dans «leur» capitale (c’est dans la ville la plus riche d’Europe après Londres que la croissance des faillites était la plus forte, ce mois d’octobre). Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg. La N-VA est visiblement prête à aller encore plus loin, à laisser l’image de la Belgique plonger dans les abysses, à laisser même la Belgique, Flandre comprise, perdre de précieux points de compétitivité et à décourager les investisseurs éventuels (c’est déjà le cas) ou à se laisser chuter dans les sondages de l’OCDE. Dame ! La Flandre est si formidable qu’elle se redressera rapidement par la suite.
Ils ont été jusqu’à mettre l’État en péril par le dépôt de la Loi explosive sur BHV, et faut-il rappeler que l’un des signataires n’était autre qu’Herman Van Rompuy ? Ils ont été jusqu’à tenter de faire passer cette Loi BHV en force, inconstitutionnellement. Une action qui, si elle avait été menée au bout (signature unilatérale des ministres flamands imposée au roi) aurait dû être assimilée à rien de moins qu’un coup d’État institutionnel ! La Belgique n’aurait pas survécu à un tel séisme qui aurait imposé à la monarchie de choisir entre le camp flamand et le camp francophone.
Après avoir brossé ce tableau noir, mais plutôt réaliste, il me reste à vous mettre à la place des flamingants. Si vous étiez Bart De Wever ou Kris Peeters, vous n’ignoreriez pas qu’il y a, au minimum, 50% de chances que les Francophones refusent de céder, et leurs droits démocratiques, et les moyens nécessaires à la survie de la Wallonie et de Bruxelles. Et sachant cela, vous vous devriez de vous atteler à une réflexion stratégique sur le pis-aller. Car si les Francophones refusent, il y aura bien un moment où «nous, les Flamands» devrons continuer à avancer (vers l’indépendance). Alors, réfléchissons un peu à ce scénario grandeur nature que les partis flamands pourraient avoir imaginé. Et en avant-première de l’émission de la VRT, voyons ce qu’il en est du plan B.
Plan B comme Mal Barré
Tout d’abord, la Flandre ne peut en principe pas déclarer son indépendance unilatéralement sans avoir auparavant négocié, en même temps avec la Wallonie et Bruxelles, sa rentrée dans l’Union européenne. Pourquoi ? C’est très simple : si la Flandre déclarait sa sortie de la Belgique hors toute coopération avec l’UE, elle perdrait sa monnaie, l’euro. Elle sortirait de Schengen, ce qui entraînerait une création de frontières douanières à l’intérieur de l’Europe. De ce fait, elle pourrait librement taxer tout produit extérieur, mais de même, les pays environnants pourraient taxer les produits flamands de façon illimitée. Hors Schengen, les ports d’Anvers et de Zeebrugge perdraient toute espèce de compétitivité : une entreprise chinoise qui voudrait livrer à l’intérieur du cercle européen aurait tout intérêt à choisir Le Havre, Dunkerque ou Rotterdam plutôt qu’Anvers. Pourquoi expédierait-elle ses biens hors UE pour y rentrer ensuite, avec des marchandises réputées flamandes, qui seraient susceptibles d’être taxées plus ? En deux mots comme en cent : l’indépendance unilatérale de la Flandre contre la volonté de la Belgique résiduelle (qui elle, serait membre de fait de l’UE) serait une catastrophe économique pour elle. Certains diront qu’elle peut parfaitement fonctionner comme la Suisse, dans l’AELE (Association européenne de Libre-Échange), encore faut-il qu’elle y rentre, et l’on peut supposer que l’UE, avec laquelle l’AELE a des accords de libre-échange, aurait son mot à dire. Si elle n’y rentre pas le jour même de sa déclaration d’indépendance, ses centres logistiques péricliteront rapidement. Et il n’y a aucune chance qu’elle y rentre si vite contre le gré des Francophones (membres de l’UE). Très risqué, non ? Enfin, il n’y a pas le moindre doute que les impôts des salariés flamands employés à Bruxelles (dont un cinquième au moins est francophone) seraient payés, non plus en Flandre, mais à Bruxelles. Manque à gagner pour le nouvel État : selon mon calcul, au moins 5 milliards d’euros. Quant au PIB flamand, il se verrait amputé de 16 milliards d’euros, et le nouvel État, s’il rentrait dans le giron européen, n’y serait plus que la 12e puissance en termes de PIB par habitant et la 15e en PIB net. Un petit pays. Petit, petit. L’on comprend aussi mieux pourquoi la Flandre «veut» Bruxelles en cas d’indépendance. C’est une nécessité économique autant qu’idéologique.
Plan B comme Bureaux
De Tijd, équivalent flamand de l’Écho en Belgique francophone et des Échos en France, prétendait récemment que si Bruxelles se refusait à la Flandre, les entreprises flamandes quitteraient alors la ville avec armes et bagages. Cette assertion est parfaitement ridicule : pour toutes les entreprises qui possèdent leurs propres bâtiments, ce sauve-qui-peut entraînerait une chute vertigineuse du prix de l’immobilier de bureau bruxellois, et des entreprises comme la KBC afficheraient des pertes d’exploitation amusantes. Partir, c’est bien. Revendre ses anciens bureaux, c’est mieux. Quant au loyer de bureaux bruxellois, dont on peut penser que les investisseurs immobiliers du Nord possèdent des centaines de milliers de mètres carrés, il serait amputé immédiatement d’un véritable pactole. Ça ne serait pas très bon pour l’économie flamande. Enfin, vu que les zones industrielles flamandes sont déjà saturées, et que les permis de construire mettent des années à être approuvés par l’administration flamande, on voit mal comment le Nord pourrait accueillir un tel afflux d’entreprises et de salariés. Sans compter que les sociétés au profil international perdraient, de surcroît, la proximité avec les centres décisionnels européens.
Même avec une Flandre indépendante, la KBC, fleuron flamand, et pour certains même flamingant, resterait donc bien gentiment ancrée sur l’avenue du Port, à Bruxelles. Comme disait notre ami Clinton : «it’s the economy, stupid». Et entre une Flandre sans système monétaire, ou qui émettrait d’urgence de nouveaux francs dont le cours s’écroulerait avant même qu’ils sortent de presse, et une Belgique résiduaire restée dans l’euro, les entreprises, même les plus flamingantes, n’auront de fait pas le choix. Ah ! Ce Clinton, quel toffe peï!
Plan B comme Berezina
On a aussi parlé d’une rentrée accélérée dans l’UE d’une Flandre nouvellement indépendante. C’est impossible si la Flandre déclarait unilatéralement son indépendance, et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, avant même que la procédure d’adhésion commence, il faut que le nouveau gouvernement flamand tienne compte de l’article 2 du traité sur l’UE qui précise : «tout État européen qui respecte et s’engage à promouvoir les valeurs visées à l’article 2 dudit traité, à savoir la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités, peut demander à devenir membre de l’Union.» Or, la Flandre ne respecte pas l’égalité, peu l’État de Droit et pas du tout les minorités. C’est même le fondement de sa création. Imagine-t-on qu’après avoir lutté des décennies durant contre les facilités et les droits juridiques et électoraux des Francophones de la Périphérie, elle les leur accorde au moment où, justement, elle se sera donné le pouvoir de les nier définitivement ?
Rappelons que pour entrer dans l’UE, il y a lieu, entre autres, de signer, et de ratifier sans condition la fameuse «Charte des Minorités», en fait, la «Convention-cadre pour la protection des minorités nationales» du Conseil de l’Europe. Ce Conseil que la Flandre a tourné en ridicule lorsqu’il l’a vertement critiquée pour sa circulaire Peeters et le traitement des bourgmestres. http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/157.htm Badaboum !
Plan B comme Bretons, Basques, etc.
Donc, cette «charte» impliquerait pour la Flandre que, non seulement elle serait sommée d’annuler la Circulaire Peeters, mais qu’en plus, elle devrait organiser et subsidier des écoles et centres culturels et sportifs, ainsi que des bibliothèques francophones bien au-delà des communes à facilités ! Ce serait ainsi le cas à Courtrai, Gand, et même à Ypres ! C’est pour s’opposer à ce qu’il considère comme une odieuse tache d’huile francophone que le gouvernement flamand (et le parti d’Herman Van Rompuy) s’est engagé «à ne ratifier la Charte des Minorités sous aucun prétexte». Avant même de penser à rejoindre l’Europe, la république de Flandre devrait donc renoncer au plus sacro-saint de ses principes : l’unilinguisme. On est au minimum en droit de supputer qu’avec plus de 65 % de sièges absolument opposés à une telle révolution, la Flandre mette des mois, sinon des années, à régler ce problème litigieux s’il en est, et que cela retarde d’autant son accession potentielle à l’UE.
Mais ce ne serait pas encore le plus délicat : une sécession d’une région d’un pays membre fondateur de l’Union est un acte à très haute valeur symbolique qui ne plaira pas à tout le monde, tant s'en faut ! La France ne tient pas à suggérer à quelques indépendantistes bretons, basques ou corses qu’elle soutient la sécession d’une région en laissant la Flandre revenir pépère dans l’UE. Le Royaume-Uni est dans une situation plus inconfortable encore, avec des partis nationalistes en Écosse (où l’un des fondateurs de la N-VA, Eric Defoort, est allé expliquer il y a quelques jours que la Flandre était sur la voie de l’indépendance, et d’en vanter les vertus), un Pays de Galles qui pourrait être tenté par l’aventure en solo, ou plus délicate encore, les mouvements républicains nord-irlandais qui ont toujours pour ambition profonde un rattachement de l’Ulster à l’Irlande.
Mais c’est d’Espagne que le blocage devrait venir en premier. La N-VA ne fait pas mystères de ses liens privilégiés avec les autonomistes catalans : ses sbires du VVB et du TAK ont manifesté l’an passé avec des Catalans indépendantistes et autonomistes à Bruxelles. Et Bart De Wever a récemment publié un vibrant appel à l’indépendance dans un journal catalan. Face aux mouvements de Catalogne et du Pays Basque (sans compter les Galiciens du BNG, les Andalous du Partido Andalucista, les Asturiens d’Andecha Astur et du Darréu, et même les Castillans d’Izquierda Castellana), il paraît hors de question pour les Espagnols d’admettre la réintégration trop facile et/ou trop rapide d’une république flamande dans l’UE. Ce serait proche du suicide. En fait, si la Flandre, après s’être séparée de la Belgique, pouvait subir une catastrophe économique retentissante, ça arrangerait énormément de chancelleries européennes. Les exemples yougoslaves, Kosovo en tête, sont déjà un précédent un peu trop «proche» au goût de Madrid, qui n’a d’ailleurs pas reconnu l’indépendance de l’ancienne province Serbe, tout comme n’ont pas voulu la reconnaître la Roumanie, la Grèce, Chypre ou, la Slovaquie.
Gageons enfin que la France pourrait être la première à ne pas faciliter l’entrée de la Flandre dans l’UE, ne fut-ce que pour maintenir la cohésion entre elle et les Wallons, ces Francophones du Nord relativement proche du pays de Voltaire. Plus insidieusement, le gouvernement français, qui s’intéresse aujourd’hui de très près à cette portion de francité si proche, pourrait jouer un rôle proche de l’ingérence. Quelques pistes : un exercice antiterroriste à Lille a pris pour «groupe terroriste» des nationalistes flamands. L’ambassade de France a convoqué les partis belges au moment de l’éclatement de la dernière crise. Et le député du parti de M. Sarkozy qui milite ouvertement pour le rattachement de la Wallonie à la France n’est pas du Nord, de l’Ain ou des Ardennes, mais bien… des Yvelines. Expliquez-moi ce qu’un député des Yvelines fait dans cette galère ?
Plan B comme Brussel in Vlaanderen
Tout porte donc à croire qu’on peut derechef balayer l’idée d’une rentrée rapide de la Flandre dans l’Union après une déclaration d’indépendance unilatérale. Mais il y a pire encore dans ce scénario : la seule chance pour la Flandre actuelle d’espérer rester ou rentrer dans l’Union au sortir du sein belge, est d’emporter sa capitale, Bruxelles. On ne peut d’ailleurs pas imaginer les parlementaires flamands, qui siègent dans la Capitale belge (et européenne), voter leur indépendance et ensuite courir, des tonnes de dossiers sous le bras, fissa fissa hors de la Région de Bruxelles-Capitale, abandonnant les bâtiments chèrement remis à neuf et l’idée même, entretenue depuis des décennies, de Brussel in Vlaanderen (Bruxelles en Flandre). Une déclaration d’indépendance flamande s’accompagnera donc forcément d’une réquisition de la Capitale. C’est peut-être le contenu du message de Kris Peeters il y a deux semaines.
Et la volonté démocratique des habitants de Bruxelles représentés par leur «Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale» ? Elle revient de fait à la volonté d’un seizième de sa population. Je m’explique : les Néerlandophones sont surreprésentés au gouvernement bruxellois. Pour 13% de la population électorale (estimation haute), ils bénéficient de 50% des postes gouvernementaux. Entendez qu’il suffit d’une majorité simple au sein de la Communauté flamande de Bruxelles pour s’opposer à toute séparation entre Bruxelles et la Flandre. Or, une majorité simple de 13 %, c’est 6,51 %. Vachement démocratique ! Il est probable qu’un certain nombre, sinon un nombre certain de Néerlandophones de Bruxelles se rangent du côté des Bruxellois plutôt que des partis flamands, ne fut-ce que pour préserver la sécurité des Flamands de Bruxelles. Mais il est moins évident qu’ils représentent une majorité au sein de la partie néerlandophone du Parlement bruxellois. C’est là que le bât blesse, et doublement.
(Commentaires dans la suite)
03:32 Publié dans Humeurs du Nord | Lien permanent | | Facebook | Imprimer | | |