jeudi, 11 juin 2009
Verhofstad : quand les gauches européennes votent à droite.
Selon plusieurs journaux belges et français, les socialistes et les écologistes européens, pour contrer la candidature de Barroso (qui aurait notamment déclaré qu'il dévoilerait son programme après… son élection) se sont trouvé un nouveau candidat idéal en la personne de Guy Verhofstad, pop-star du look libéral et ex-premier ministre du pays le plus compliqué au monde — qui aura réussi à mettre les Belges d'accord et qui, même après 8 ans de pouvoir, reste la personnalité politique la plus consensuelle du pays.
On comprend donc parfaitement les écologistes et les socialistes européens. Un homme de cette trempe est probablement un outsider idéal pour contrer Barroso (vous souvenez-vous de son prénom ? mmh ?) Sauf que, comme Jose Manuel (merci qui ?), Guy Verhofstad est un libéral de chez libéral.
Le socialisme est donc si mal en point en Europe qu'il en est réduit à se trouver des candidats à la présidence de la Commission dans le camp opposé… Ah ! il est loin le temps de Jacques Delors ! Aujourd'hui, la gauche semble n'avoir plus ni projet, ni énergie, ni programme capable de rassembler beaucoup plus qu'un petit tiers des électorats nationaux. C'est la gauche-calamar.
La crise est libérale.
Pourtant, la crise est là. Personne ne peut nier — ou alors, il faut être de très mauvaise foi — que les règles ultralibérales d'inspiration anglo-saxonne en portent une responsabilité terrible. Les pertes abyssales des banques sont en effet principalement dues à la diminution brutale de valeur dans un portefeuille désormais valorisé au prix du marché pour rassurer les « investisseurs à l'arrache ». Je m'explique : quand les actionnaires achetaient pour rester, en vrais investisseurs responsables —, peu leur importait que les actifs des banques fussent estimés en fonction de leur valeur immédiate. L'important était leur valeur au moment d'une vente éventuelle de chaque bien inscrit à l'actif du bilan. Ceux-là ne s'encombrent pas de savoir ce que vaut une action au millimètre près à chaque jour que Dieu fait. Ça ne peut intéresser que les gens qui se demandent au quotidien s'il n'est pas plus rentable de dépiauter l'entreprise que de la faire fonctionner. Il y avait un excellent film là-dessus, Wall Street.
Car lorsqu'on spécule, surtout sur des actions très étrangères qu'on connaît mal (en général parce qu'elles promettent de croître à deux chiffres, à l'autre bout de la planète), il devient important de pouvoir se fier à une valeur du jour, calculée sur le prix « réel » forcément temporaire et mouvant des actifs de l'entreprise qu'on investit momentanément tant qu'elle grimpe et qu'on lâchera au meilleur tarif dès qu'elle semble plafonner.
Quand l'actionnaire se fait pou.
Le problème de ce calcul « permanent » de valeur, c'est que pour une entreprise cotée qui n'a que du portefeuille, de l'argent et de l'immobilier, en cas de crash financier, ces actifs peuvent s'effondrer du jour au lendemain, et sans avoir vendu la moindre parcelle de son capital, la valeur de son action peut péricliter, même si son activité est bénéficiaire. C'est l'effet pervers d'un système où l'entreprise ne sert plus à produire, à employer, à alimenter le maché, mais bien à enrichir temporairement des actionnaires dont le comportement rappelle celui des poux, sautant d'une crinière à l'autre en fonction de la vitesse de croissance des cheveux, fuyant à la moindre approche d'un coiffeur.
La valeur des actions est en principe une question externe à l'entreprise (elle concerne l'échange entre actionnaires, une question réputée privée). Mais par l'effet médiatique qu'elle a, une chute rapide des cours peut couper brusquement la société de tout investisseur, de toute ligne de crédit, bref de toute oxygène. Ainsi en fut-il de Fortis Banque qui distribuait encore du dividende (peu toutefois) en juillet et faisait déjà l'objet d'une rupture immédiate de relations avec toute autre banque créditrice en… septembre. La crise bancaire avait bon dos : de juillet en semptembre, Fortis avait toujours autant d'immeubles prestigieux, autant d'actions et d'obligations, autant de personnel de qualité, autant de clients privés et professionnels fortunés, de contrats, d'hypothèques, de directeurs-généraux, bref, autant de travail, autant de revenus (du moins pour la plupart des branches). La crise m'a tuer. Pas la gestion : toutes les autres banques ont vécu la même chose, mais peu ont été tant dépiautées.
Au niveau planétaire, cette valorisation « permanente » des biens des entreprises, surtout en matière d'actions, a provoqué une plongée parfaitement incontrôlable de l'ensemble du système au premier vent de panique.
De la valeur des choses
Pourtant, les choses non-neuves n'ont de valeur que morale, jamais physique. Si demain, aucun vendeur ne se présente, une maison de 400 m2 à Paris vaut à cette date particulière exactement le prix donné, à savoir — puisque personne n'est acheteur — zéro. Ça, c'est la valeur absolue (à très court terme). La valeur du marché estimée en permanence serait celle d'un bien comparable qui se serait vendu ce même jour. C'est parfaitement aléatoire : à Bruxelles, deux maisons identiques se sont vendues hors crise pour le simple et le double. Question de chance. C'est pourtant sur cette estimation que le marché se base. Bien sûr, la vraie valeur d'une chose pour son possesseur n'apparaît qu'au moment de sa vente éventuelle. Toute donnée intermédiaire n'étant qu'un évaluation imparfaite, parfois même hasardeuse. Cette méthode de calcul que le monde de la haute finance anglo-saxon a réussi, il y a plus ou moins une décennie, à imposer partout fait qu'aujourd'hui, la valeur des entreprises dépend, non pas de ses investissements, de son travail ou de ses réalités, mais de la conjoncture, de l'avis des uns et des autres, des expertises hasardeuses de spécialistes autoproclamés qui sont de surcroît souvent à la fois conseillers et vendeurs.
Ce type d'approche favorisait le spéculateur, mais ni l'industrie, ni le capital, ni l'employeur, ni l'ouvrier et l'employé et résultait de la certitude des ultralibéraux qu'en donnant satisfaction au « marché » (qui comprend une part de très fortunés, une part d'entreprises, une part de petits retraités et une autre de boursicoteurs), rien de mauvais ne peut arriver. Evidemment, tout le monde a payé une telle bêtise, y compris bien des spéculateurs. Et la seule conclusion qu'on aurait dû, de gauche à droite, tirer de ce navrant épisode est : « l'ultralibéralisme est la doctrine le plus imbécile jamais conçue par l'homme ». Point.
Le libéralisme n'a jamais tort.
Oui. Mais ce n'est pas ce qu'on s'est dit. Déjà, pas à droite : pour un ultralibéral, tout ça n'est pas grave en soi. Il affirmera qu'il y aura toujours des hauts et des bas et que de toutes façons, des gens crèveront toujours dans les pays émergents quand l'Amérique sera en bas, et un peu moins quand elle sera en haut. Logique imperturbable et débonnaire qui permet à cette classe politique de ne jamais avoir tort, dès lors qu'elle ne peut être en échec : la réussite de l'ultralibéralisme, c'est purement et simplement d'avoir libéré les marchés. Peu importe que la suite fut catastrophique : l'homme libéral est tout à fait ir-responsable en ce sens que les choses se font en-dehors de lui et que laisser faire les cycles, c'est mieux que d'intervenir. Dogme suprême et incontestable, bien sûr !
Tout de même, l'homme de la rue n'est pas dupe. Son argent s'est quelquefois vraiment envolé. Sa retraite, même, pour certains. Mais il est vrai qu'en Europe, ceux qui présentaient jadis l'exemple américain comme la sublissime solution libertaire firent machine arrière toute et flip-flap, voilà-t-y pas que même Sarkozy s'est mis à jouer à Monsieur Marché Régulé. En Belgique, au premier couac, Didier Reynders, grand admirateur de Nicolas, s'est empressé de privatiser Fortis Banque. Les libéraux ne sont pas à une contradiction près. Mais ce sont des gens sérieux (qui le disent avec beaucoup, justement, de sérieux) et donc, tout ce qu'ils disent est… sérieux.
Credo libéral : le droit de piller les valeurs de la gauche.
Admettons au moins que la droite a bien joué le coup. Très hypocritement. Sans le moindre remords. Jouant sur cette image « sérieuse » face à une gauche qui, par nature, ne le serait pas. Mais je le répète, le public n'a pas été dupe. Pourquoi alors a-t-il voté plutôt à droite aux Européennes ? Il a simplement fait ce qu'on fait en temps de crise : saisir la première planche qui passe et qui ait l'air de bien flotter. Et peut-être qu'un peu partout en Europe, pour des raisons diverses, la gauche n'a pas donné l'impression qu'elle allait permettre de sortir les nations de ce marasme financier, puis économique, puis humain. En réalité, personne à gauche n'a osé lancer à sa droite : « vous n'avez pas le monopole du fric » encore moins ajouter une insulte bien sentie du genre « têtes de nœuds ! » (c'est juste un exemple, je ne me permettrais pas… quoique…) Et peu ont osé proposer des solutions. Mais à quoi ça aurait servi ? Quand la gauche a peut-être sauvé la nation, elle a parfois été sanctionnée aux Européennes, comme au Royaume-Uni.
Le libéralisme phagocyteur.
Peut-être qu'à force de répéter que le communisme tel que pratiqué en ex-Europe de l'Est fut une pénible maladie, les Bleus ont fini par emporter les esprits. Peut-être qu'à force de dire qu'il est stupide d'être socialiste à cinquante ans, ils ont gagné la bataille de la « bonne impression ». Probablement qu'à prendre un peu partout les symboles de la gauche et à se les attribuer, comme la fracture sociale de Chirac en France, la droite s'est très efficacement approprié les valeurs, les outils, les mythes du socialisme. Après, évidemment, la question est : « à quoi sert Marx si la droite se réclame de lui ? ». Les libéraux se donnent la liberté de se réclamer de qui ils veulent, comme Sarkozy de Jaurès. Dernier phagocytage en date : un peu partout en Europe, les libéraux ont lâché Bush pour se revendiquer d'Obama. Pourtant, parmi eux, certains avaient soutenu avec beaucoup d'acharnement la doctrine des faucons américains.
Vite, retourner sa veste pour ne pas s'en prendre une .
Or, Obama, croyez-moi si vous le voulez, c'est aujourd'hui le plus puissant des hommes de gauche. Son attitude envers l'Islam et la colonisation en Israël le placent là au niveau international. Sa conviction de taxer les plus riches et sa volonté de travailler à plus d'éducation et à un système social digne de ce nom l'y placent au niveau national.
D'où l'obligation de suspicion lorsque Berlusconi, Aznar, Sarko, Reynders, et dans une moindre mesure, Merkel se réclament à corps et à cri d'Obama le plus vite possible pour que la gauche ne puisse plus réclamer son dû, sa vérité, son réel. Vous avez remarqué que la droite la plus conservatrice (à savoir, décidée à conserver le pouvoir dans les mains de l'argent et inversément) se prétend réformiste, innovatrice, révolutionnaire, et critique la gauche pour son… conservatisme ?
Les gauches amorphes
Il reste évidemment que les gauches européennes n'ont pas encore compris qu'en allant elles-même pêcher dans le champ de la droite des valeurs qu'elles ne pourront jamais défendre efficacement (parce qu'elles ne lui conviennent pas), elles ne conviennent plus à personne. Défendre un candidat libéral pour éviter qu'un autre libéral ne fût élu, ce n'est pas très sérieux. Mais surtout, c'est la marque d'un profond malaise socialiste. Au moment où le travailleur est pris pour cochon-payeur d'une crise à laquelle il ne peut mais (sinon d'avoir trop souvent voté pour le camp de l'Argent), il faudra bien que la gauche revienne à ses valeurs propres, insulte tout parti qui chercherait encore à les lui subtiliser, les garde jalousement, bec et ongles et cesse de jouer l'appareil, le parti et le petit avantage personnel. On n'a plus besoin de convictions ou de dogmes, mais d'actes, de gestionnaires, de sincérité. Et bien sûr, d'intellectuels de gauche, relais progressistes et humanistes d'une pensée authentiquement sociale.
C'est quoi, la gauche, papa ?
C'est peut-être bêtement ça, le problème : on ne sait plus vraiment ce que c'est, une gauche. Ou une droite. Pourtant, dans des pays comme Israël, on fait très facilement la différence : la droite, ce sont les gens qui colonisent à tout mieux mieux pour agrandir le pays petit à petit au détriment des autres et prolongent inutilement un état de guerre qui ne sert que la mort. La gauche, ce sont les gens qui tentent d'établir les liens entre les deux nations frères, se battant pour la paix, maintenant. Travers de la paisibilité, quand tout ne va pas (trop) mal, on oublie trop facilement de quoi les droites sont capables. A la gauche de le rappeler, de le cibler, et surtout de construire un projet de société clair et utile. En commençant par révéler les Guy Verhofstad… de la gauche ? On les attend. C'est urgent.
À part ça, il est vrai que Verhofstad, anti-Bush, modéré, intelligent, est un candidat parfait pour contrer Jose Manuel… vous savez, ce président de commission dont je viens d'oublier le nom de famille.
© Marcel Sel 2009. Tous droits réservés pour le monde entier. Reproduction interdite sans accord écrit de l'auteur.
22:47 Publié dans Humeurs d'Ailleurs | Lien permanent | Commentaires (1) | | Facebook | Imprimer | | |
Commentaires
Fondamentalement, aucune idéologie n'est mauvaise. Ce ne sont que des idées, le problème c'est ce qu'en font les hommes. Des idéologies meurent constamment, d'autres renaissent et mouront demain. L'histoire humaine n'est faite que de ce "cycle" d'idéologies. L'erreur du libéralisme qui s'est construit au départ contre l'Eglise et de forte inspiration franc-maçonne d'ailleurs c'est de croire qu'un système comme le capitalisme pouvait s'auto-réguler en oubliant que ceux qui font fonctionner les rouages sont des êtres humains capables d'avidité et de cruauté. Dès lors aucun système n'est bon ou mauvais, seulement ce qu'en font certains le rende bon ou mauvais. On est passé du Dieu chrétien au Dieu argent. L'argent qui ne devait être qu'un moyen est devenu tellement important qu'il a indirectement un pouvoir de vie ou de mort sur certaines personnes. Un autre Dieu donc.
Nous vivons dans des sociétés de plus en plus conformistes qui étouffent littéralement nos jeunesses. C'est un peu l'effet Paby Boom. De plus en plus de retraités qui par peur font des choix qui ont des conséquences sur une période plus longue que ce qu'ils le restent de vie. Des sondages en France ont montré que l'UMP a gagné grâce aux "vieux". Les jeunes ne se sont pas déplacés. Sarkozy d'ailleurs ne fait que cibler cette tranche d'âge qui l'a fait gagné en abandonnant totalement la jeune génération. A se demander si le vote n'était pas obligatoire qui gagnerait en Wallonie ? C'est un constat mais la plupart des seniors ont peur de mourir ce qui est normal mais cette peur de mourir qui s'accompte de peurs tout autres a des conséquences sur leur manière de voir le monde et de façonner le monde. J'ai vraiment l'impression de vivre de plus en plus dans une société paranoïaque. Mais quel foin ne fait-on pas pour certaines choses à la télé. C'est effrayant.
Alors pour contrer les ultralibéraux, je crois que la seule solution c'est de ne plus avoir peur. Car si on n'a plus peur, ils sont incapables de faire voter des lois invraisemblables dans bien des domaines qui mènent à une société fliquée, de surveillance, de pseudo-liberté d'expression sous la peur de l'insécurité qui n'est autre que la peur de mourir en fait.
Écrit par : Guillaume | samedi, 13 juin 2009
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