jeudi, 16 mai 2013
Les singes savants ne meurent que deux fois.
J'inaugure par la présente une nouvelle catégorie, les Humeurs Invitées. Ce billet répond à mes billets sur Luc Trullemans.
Par Miguel Ange (@yaaguanto)*
Je ne saurais dire combien de temps j’ai mis pour accepter ma propre duperie. Pour tout avouer, j’étais rentré dans cette Maison par effraction.
Dieu y était mort tandis que l’Autre agonisait à l’étage.
Couché sur un lit improvisé, l’Autre se préparait à revêtir les étoffes du fantôme.
Mais les fantômes n’existent pas, me répétais-je. Et pourtant, j’assistai aux derniers souffles de l’Autre. Le théocide n’avait pas suffi. Il fallait aussi se charger du résidu immanent de Dieu, l’Autre, L’Inassimilable, Le Différent, Celui qui n’est pas Moi, Celui qui sera toujours contre Moi et qui jamais ne fera partie du Même.
Et pourtant, un fantôme naissait sous mes yeux. L’Autre quittait son lit, se mourrait et Moi, stupéfait, j’assistais sans broncher à sa sublimation.
Quand on supprime, il y a toujours un Reste., chuchotait mon voisin. Quand on tue quelqu’un, son fantôme survit toujours. Cette fois, c’était une femme qui lançait ça.
Dans cette Chambre à l’étage, nous étions plusieurs, nous étions les mêmes, chacun prêt à accepter les différences assimilables des uns et des autres. Réunis dans cette Maison, Nous procédions à la veillée funèbre de l’Autre. Il fallait descendre le Corps, il fallait sortir le Corps pour l’enterrer. Et de fantôme, il n’en était pas question. L’Autre décédé, toutes nos aspérités deviendront digestes. Un monde sans Autre était la Terre Promise par l’universalisme. Et Nous, dans cette Maison, amorcions notre Exode vers cette Terre d’Universel.
Je portais la tête de l’Autre entre mes mains. Je descendais précautionneusement son cadavre encore chaud. D’autres m’aidaient dans cette tâche. Dans un silence complice, nous faisions attention à ne pas déchirer la peau morte. Personne ne voulait voir de la chair de macchabée commencer sa putréfaction. Il fallait donc faire vite. Il fallait l’enterrer et rapidement quitter la Maison.
Limité par un étang peu entretenu, le Jardin n’était pas grand. Nous décidâmes d’enterrer le Cadavre au pied d’un jeune saule. Quand Nous déposâmes le Corps sur le sol, il avait perdu une bonne partie son poids. Léger, le Cadavre ressemblait davantage à un spectre. Je ne pouvais y croire. Le Fantôme naissait sous mes yeux mais ce n’est pas possible. Les morts ne reviennent jamais. Vite, creusons, avant qu’Il ne s’en aille.
Après, j’ai oublié. La suite, je ne la connais pas. L’Autre était enterré à l’ombre d’un saule, et c’est tout ce que Nous devions retenir. Nous sommes partis de la Maison, ça je m’en souviens encore. Pour le reste, Nous avions réussi l’exploit de la Fraternité universelle. Nous étions tous devenus l’autrui acceptable, le différent qui tôt ou tard s’intègre au Même. La mise à mort de Dieu avait apporté le Paradis sur terre, ce monde où chacun vivra avec ses dissemblances sans jamais rencontrer de représailles sur son chemin.
J’étais content mais dupe. J’avais fini par apposer sur mon propre corps les variétés de Celui qui, quelques heures plus tôt, m’apparaissait lourd, indigeste, inassimilable. Finalement, Il n’était pas si terrible que ça. Finalement, il était comme moi, avec ses défauts et ses qualités.
Comme dans tout bon paradis, l’illusion est reine et la réalité n’existe pas.
D’assimilation, il n’en était rien. J’avais appris à faire le singe, j’avais incarné dans mon cadavre encore chaud les us et coutumes du Même, de l’Un immanent, de Celui qui avait tué Dieu, l’Autre, ma Mère, mon Père, ma Prolitude, mon Origine. Je venais de tuer une première fois le singe barbare, cet animal humanoïde aux gestes repoussant pour l’Un, à la puanteur insupportable, qui vivait en moi, qui bouffait en moi. Prenait place dans mon corps ce singe savant, qui savait faire le beau, qui savait emprunté la Beauté de l’Un immanent.
Ce jour-là, en tuant l’Autre dans sa maison, j’avais fait de ma substance un fantôme qui allait me hanter ma vie durant. Combien de gestes n’ai-je pas posé sans me confronter au spectre de mon Altérité défunte ? L’Autre de Moi revenait au galop à chacun de mes numéros savants. Ces numéros où je naviguais maladroitement entre différences acceptables et mêmeté minérale, sans vie. Numéros savants qui me permettaient de me fondre dans la différence acceptables du Même.
Vivre dans le Paradis Universel coûte finalement cher. Mon fantôme surgissait à chacune de mes trahisons. Tantôt avec un sourire cynique, tantôt avec des dents serrées qui pleuraient le sang. C’était une vraie torture qui glaçait mes entrailles à chacune de ses apparitions. Voir un fantôme, ça fout bien les jetons. Mais quand il s’agit de son propre Fantôme, je pense que l’on peut parler de peur absolue.
Puis, un jour de 1985, je découvris mon salut. Mon fantôme n’allait bientôt plus me hanter. J’allais pouvoir lui donner à manger, le nourrir pour qu’Il cesse de me ronger. Les chaînes de télévision venaient de s’emparer de l’anti-racisme et de son slogan publicitaire, Touche pas à mon pote.
Harlem Désir était le Messie qui venait me libérer du Paradis que je m’évertuais vainement à perdre. Avec son slogan qui vaudra bien une rolex avant 50 ans à son créateur, le mouvement anti-raciste fut l’occasion pour moi de faire renaître l’Autre, de le sortir de Moi et d’enfin vivre ma vie, celle qui ne m’appartient qu’à Moi et que je ne partage avec personne.
Harlem Désir était un dieu-sauveur qui ressuscita l’Autre en le fardant des habits du Raciste, Etre ignoble aux différences inassimilables, aux aspérités imbuvables, aux variétés indigestes. Le Raciste allait extirper le fantôme de l’Autre qui sévissait en moi. J’allais pouvoir enfin nourrir mon besoin d’Altérophobie, cette crainte de cette partie du Moi qui est Non-Soi. Ma faim serait rassasiée, je serai anti-raciste altérophage et quitterai définitivement mon rôle d’autophage.
En tuant l’Autre dans cette maison, j’avais enfoui mon Altérité dans les tréfonds de mon corps. En Le réanimant, Harlem m’avait exorcisé de mon Autre, rendant vivable ma Mêmeté, ma vie auprès de mes potes, des miens.
Le Raciste n’est pas un fantôme. Il existe bel et bien. Et là réside toute la puissance de l’anti-racisme, dans cette prouesse ontologique d’une ampleur sans précédent : renouveler organiquement la Dualité en prônant l’ère de l’Universalisme monolithique.
19:41 Publié dans Humeurs invitées | Lien permanent | Commentaires (11) | | Facebook | Imprimer | | |
Commentaires
Lors de la lecture de ce chef d'oeuvre, je me posais une question existentielle: c'est du K2, du B52, du Top 44... perso, je mise sur la "White Widow"
Écrit par : schoonaarde | jeudi, 16 mai 2013
Répondre à ce commentaireIk denk dat het een tweede experiment van Sokal is.
Écrit par : Lieven | jeudi, 16 mai 2013
j'aime bien, je suis bon (service) public
j'aime bien quand milquet mousse explique à mickey l'ange, enfin... quand je capte quelque chose de l'ontologie des étant monaduels
Écrit par : Uit'tZuiltje | jeudi, 16 mai 2013
Répondre à ce commentaireJ'ai un frère qui a écrit il y a longtemps sur la mauvaise fois ou le refus de l'altérité. Vous avez du mal à être comme tout le monde, non ?
Écrit par : Ana María | vendredi, 17 mai 2013
Répondre à ce commentaireSelon que vous serez adepte de Leibniz ou aristotélicien !
Notre ami Sel s'enlise dans les paradoxes inhérents au langage. Dire l'altérité, ce n'est ni être raciste, ni être angélique, c'est tout simplement reconnaître une réalité qui peut être inspirante ou aliénante selon que l'on se trouve du bon ou du mauvais côté du miroir. Et il n'est plus un secret pour personne que le fait de se trouver face ou derrière ce miroir ne procède pas le plus souvent d'un choix mais est la résultante d'un déterminisme social qui pèse lourd sur des générations de consciences. Comment s'expliquer autrement que le racisme, en priorité, surgisse là où^la réalité sociale flirte avec la discrimination. De cela, le bourgeois bohême ne pourra jamais se convaincre lui qui, toujours, est dans la posture du bien pensant.
Leibniz, plus fondamentalement, avait approché cette réalité au travers de sa théorie des monades. Imaginez autant de points de vue différents qu'il n'y a de regards, autant de consciences irréductibles à elles-mêmes. La somme de ces regards, comme autant de spectres angulaires partant d'autant de focales qu'il n'y aurait de consciences, constitue en soi cette universalité paradoxale qui nous façonne, d'autant plus paradoxale qu'elle serait indissociable de l'incapacité que nous aurions à rentrer en communion universelle.
Et pourquoi donc ne pas se réconcilier plutôt avec Aristote, le grand décrié de la pensée contemporaine qui, à l'instar des néo-platoniciens du XVe siècle italien, avait cru toucher le fin du fin en renouant avec la pensée d'un Platon, en réactivant les fondements du dialogue et de l'interrogation sur nos savoirs, pierre angulaire de l'esprit scientifique ? Le grand décrié du XXe siècle ne l'est-il pas pour avoir inspiré les monstres sacrés de la pensée scolastique, honnie qu'elle est aujourd'hui encore? Et pourtant ! La confrontation dynamique de la forme et de la matière demeure l'un des modèles explicatifs les plus stimulants.
À vouloir uniformiser, et donc réduire la forme à un pur accident, privé de toute intention particulière, l'homme contemporain ne s'est pas contenté de mettre à mort Dieu, il s'est privé lui-même des ressources lui permettant d'accéder à la véritable liberté, celle qu'il ne peut puiser que du dedans de lui-même. La dialectique de l'altérité est lovée au cœur même de ce dialogue interne, et il n'est véritablement de chance pour nous tous de réhabiliter l'autre qu'en reconnaissant en lui, à notre instar, un être profondément libre, doté d'une intention propre. La forme, traversée par l'esprit, à la découverte d'autres formes, elles-mêmes dotées de conscience.
La matière n'est pas tout, elle n'est que la condition d'existence qui permet à la forme de se réaliser, à l'intention donc de s'incarner, à l'esprit de se déployer. Telle est la grande erreur de notre époque : confondre les tenants et les aboutissants, renverser la charge de la preuve, réduire en uniformisant, et ce faisant donner naissance aux monstres de demain.
Mounier plutôt que Sartre. Hegel plutôt que Marx. Kierkegaard plutôt que Schopenhauer. Aristote plutôt que Platon ... à moins que l'on ne cherche, tentative héroïque des esprits de la Renaissance, de réconcilier ces deux-là ainsi que l'avait fait Raphaël dans sa célèbre "Ecole d'Athènes" en la chambre de la Signature au Vatican ! Mais qui aujourd'hui est-il encore à même de poser les bases de ce questionnement en ces termes. Il est tellement plus rassurant de réduire et de schématiser, d'uniformiser.
Platitude et postures, quand vous nous tenez !
Le racisme récurrent, lancinant, larvé, irréductible, n'est en définitive que le surgissement d'un monstre que l'on avait cru pouvoir faire disparaître mais que l'on n'avait qu'enfoui ... et qui renaît de ses cendres, plus insidieux et plus virulent que jamais. Attention aux lendemains qui déchantent !
ON N'EXTIRPERA PAS LA BÊTE EN POLISSANT LES ASPERITES DES CONSCIENCES.
Quand les bons esprits d'aujourd'hui se rappelleront que le Christianisme est aussi un rejeton du cosmopolitisme hellénistique, quand ils se rappelleront que les fondements de la laïcité (séparation de l'Eglise et de l'état ... dans le contexte de la résolution de l'ancienne querelle des Investitures) et de l'esprit scientifique (universaux mathématiques ... 2 et 2 feront toujours 4, qu'importe ce qu'en pense Dieu) sont déjà très clairement énoncés au début du XIVe siècle chez un théologien du nom de Guillaume d'Occam, alors peut-être seront-ils à même de comprendre que les véritables horizons de la liberté humaine n'ont que faire des cloisons, des certitudes et des rideaux opaques dans lesquelles la pensée unique contemporaine s'évertue à nous enfermer.
L'autre, celui que l'on rejette, est toujours au-delà de cette opacité. Et ce n'est pas parce qu'on lui donnera le nom de modernité, qu'on la déclinera sur le mode de la "grande communion universelle" qu'elle se fera moins épaisse, moins discriminante, moins intolérante.
Comme toujours, dès lors qu'il s'agit du langage, le paradoxe est là : l'intolérance est déjà présente dans le seul fait d'affirmer la tolérance, le rejet de l'autre dans le seul appel à la fraternité universelle, la contrainte des esprits dans l'affirmation proclamée de la liberté.
Écrit par : Tournaisien | vendredi, 17 mai 2013
Répondre à ce commentairePif paf pouf, une étude française vient de montrer que le racisme politique (voter pour le FN dans le cas qui nous occupe) naît dans les zones où il n'y a justement pas beaucoup "d'étrangers" et a tendance à s'estomper au fur et à mesure de leur arrivée. Dans les années 70, l'on prédisait que Bruxelles serait largement d'extrême droite lorsque le taux d'étrangers dépasserait les 16-19%. Quod non?
Quant à la phrase "Comme toujours, dès lors qu'il s'agit du langage, le paradoxe est là : l'intolérance est déjà présente dans le seul fait d'affirmer la tolérance, le rejet de l'autre dans le seul appel à la fraternité universelle, la contrainte des esprits dans l'affirmation proclamée de la liberté." en mathématique, on dirait : "1=0". Et c'est ma réponse.
Écrit par : Marcel Sel | vendredi, 17 mai 2013
Je plusois!
Écrit par : pasp | vendredi, 17 mai 2013
@ Marcel
... Au moins, vous m'avez lu !
Votre "1 = 0" ... bien sûr, s'il reste 1, à moins que vous ne décomposiez la proposition en un 1 et un 0, le 1 devenant donc autre pour le 0 et vice-versa. Et là, vous viendriez de réinventer le système du calcul binaire.
PS: Il y avait longtemps que je ne vous avais plus gratifié de mes commentaires. Disons que .... euh ... je me suis un peu racheté pour la circonstance.
Écrit par : Tournaisien | samedi, 18 mai 2013
@Tournaisien,
"Leibniz, plus fondamentalement, avait approché cette réalité au travers de sa théorie des monades."
Une catégorie à haïr, ces monades. Je ne les connais pas, mais ils m'énervent déjà.
Écrit par : schoonaarde | vendredi, 17 mai 2013
Répondre à ce commentaireVous avez raison ... Je ne vous l'avais pas dit, mais elles ressemblent à des petites bêtes gloutonnes et gluantes. Brrrkkkk !
Écrit par : Tournaisien | samedi, 18 mai 2013
Pas top, ce texte. Reprenez la main, Marcel.
Écrit par : Bernard (Rouen) | samedi, 18 mai 2013
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